Analyse socio-économique de
L'INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE BREVETÉE
Pour la période de dix ans
(1991-2000)

 

 Table des matières

 

 1- Faits saillants

 2- Introduction

 3- Objectifs de la recherche
4- Méthodologie de recherche

 5- Taux de rendement sur le capital investi et Bénéfice net

 6- Analyse de sensibilité des taux de rendement

 7- Montants versés aux actionnaires

 8- Investissements nets en immobilisations

 9- Marketing et Administration vs Recherche et Développement

10- Intérêts : revenus et dépenses
11- Encaisse
12- Coefficient d'endettement à long terme

 13- Marges de bénéfice brut et de bénéfice net sur ventes

 14- Recommandations

 15- Conclusion

 

 

 Analyse socio-économique de
l'industrie pharmaceutique brevetée
(1991-2000)


 
 

1- FAITS SAILLANTS

 

Voici une synthèse des résultats obtenus suite à l'analyse factuelle des états financiers des neuf multinationales étrangères oeuvrant dans l'industrie pharmaceutique brevetée: Merck Co., Bristol-Myers Squibb Co., Pfizer Inc., Abbott Laboratories, Warner-Lambert Co., Eli Lilly Co., Schering-Plough Corp., SmithKline Beecham et GlaxoWellcome.

 

I- Taux de rendement après impôts sur le capital investi réalisé pour les périodes suivantes :

10 dernières années (1991-2000)

40,9%

5 dernières années (1996-2000)

45,1%

3 dernières années (1998-2000)

45,6%

Dernière année (2000)

45,3%

 

II- Baisses de prix des médicaments escomptées avec des taux de rendement sur le capital investi normaux de l'industrie pharmaceutique brevetée :

Taux de rendement après impôts
sur le capital investi souhaité

12%

15%

18%

Baisses de prix des médicaments
prévues en pourcentage
des prix actuels


18,8%


16,8%


14,9%

 

III- Montants versés aux actionnaires en dix ans :


 
 

Montants versés aux actionnaires

Bénéfice net après impôts

Recherche et Développement

Investissements nets en immobilisations

En milliards
de $ U.S.

146

190

113

23

 

Montants versés aux actionnaires
en % de :

-

77%

129%

 635%

 

IV- Ventilation des montants versés aux actionnaires en dix ans :

 En milliards $ U.S.

%

 Dividendes

 88

 60%

 Rachats d'actions

 58

 40%

 Total

 146

 100%

 

V- Investissements nets en immobilisations en dix ans :


 
 

Investissements nets en immobilisations

Montants versés aux actionnaires

Frais de marketing et d'administration

Bénéfice net après impôts

En milliards de dollars U.S.

23

146

316


190

Investissements nets en immobilisations
en % de :

-

16%

7%

 12%

 

VI- Frais de marketing et d'administration versus frais de recherche et de développement pour les dix dernières années :

 Marketing et Administration = 316 milliards U.S.
------------------------------------------------------------------- = 280%
Recherche et Développement = 113 milliards U.S.

 

VII- Intérêts revenus versus intérêts dépenses en dix ans :

 Revenus d'intérêts

 12,4 milliards U.S.

 Dépenses d'intérêts

 13,1 milliards U.S.

 Différence

 0,7 milliard U.S.

 

VIII- Encaisse au 31 décembre 2000 :


 

Encaisse et quasi-espèces

Actif total

Immobilisations nettes

Dette à long terme

En milliards
de $ U.S.

28

164

48


13

Encaisse et quasi-espèces
en % de :

-

17%

58%

 215%

 

IX- Coefficient d'endettement à long terme au 31 décembre 2000 :

Dette à long terme = 13 milliards U.S.
----------------------------------------------------------------------- = 8%
Actif total = 164 milliards U.S.

 

X- Marges de bénéfice brut et de bénéfice net sur ventes pour les dix dernières années :

 Marge de bénéfice brut sur ventes = 69%

 Marge de bénéfice net sur ventes = 19%

 

Nous invitons le lecteur à bien prendre conscience de l'énormité des chiffres, de leur impact sur le prix des médicaments et sur le coût des programmes de soins de santé publics et privés. Ce mode de gestion qui régit l'industrie pharmaceutique a pour conséquences un appauvrissement de la majorité au profit de l'enrichissement d'une minorité, une très mauvaise utilisation des ressources et enfin une répartition inéquitable de la richesse. Une bonne partie de la solution aux problèmes du système de santé public et de l'assurance-médicaments publique passe par un contrôle gouvernemental accru du prix des médicaments brevetés exercé par cet oligopole.

Y aura-t-il suffisamment de volonté politique? Nos gouvernements donneront-ils préséance aux intérêts supérieurs de la collectivité ou céderont-ils encore une fois au puissant lobby des multinationales pharmaceutiques étrangères et de leurs actionnaires? La majorité de la population sort nettement gagnante en se payant un système de santé public par le biais de leurs impôts plutôt que de se faire miroiter de ridicules baisses d'impôts publics, qui profitent surtout aux nantis et aux compagnies, et qui amèneront le retrait de l'État de la santé publique en raison de recettes fiscales moindres. Ce que le citoyen aura épargné en impôts publics payés à l'État, il devra plus tard en verser davantage en impôts "privés" aux multinationales de la santé privée : compagnies d'assurances, compagnies pharmaceutiques, médecins-entrepreneurs, hôpitaux incorporés, etc. Nous implorons nos compatriotes à ne pas être dupes des subterfuges et des leurres des opportunistes qui, sentant la bonne affaire, tiennent par tous les moyens à démanteler, à leurs seuls intérêts, nos acquis sociaux et nos instruments collectifs.

 

2- INTRODUCTION

 

Dans la foulée de la "modernisation" de l'État, c'est-à-dire son rapetissement, la santé publique n'y échappe pas. Les ténors du démantèlement de nos acquis sociaux ont obtenu gain de cause à plusieurs niveaux depuis vingt ans : baisses radicales des impôts aux compagnies et aux nantis, privatisations de sociétés d'État (Air Canada, CN, Pétro-Canada, Canadair, Téléglobe, etc.), coupures dans les programmes sociaux (assistance sociale, service à l'éducation, assurance-chômage, etc.), tarifications accrues de services publics (éducation, transport en commun, parcs nationaux, etc.), privatisations de services publics (autoroutes et ponts, contrôle aérien, eau et aqueduc, ports, aéroports, prisons, etc.), sous-traitance de services publics (postes, informatique, entretien, surveillance, etc.), multiplication des abris fiscaux, encouragement de l'évasion fiscale dans les paradis fiscaux et beaucoup d'autres choses.

Il faut bien le dire, tout ce qui est du ressort du service public représente une véritable poule aux ufs d'or pour les affairistes : éducation, eau, énergie, autoroutes, transport, prisons, entretien des immeubles, des routes et des parcs, postes et bien évidemment la santé dont ils voudraient privatiser les éléments les plus rentables et laisser à l'État le reste non-payant comme cela se fait dans tous les cas. Pourtant, tous savent bien que dans le domaine de la santé, le privé est inévitablement plus cher que le public. En effet, lors de la privatisation de la santé, il faut introduire deux nouveaux éléments qui occasionnent une hausse importante des coûts : une marge de profits exigée par les firmes privées et l'apparition d'un nouvel intermédiaire que sont les compagnies d'assurances, ces dernières étant toutefois absentes dans une structure de soins de santé assurés par l'État.

Généralement, le patronat, en utilisant une rhétorique biaisée et des calculs trompeurs, laisse sous-entendre que le privé est moins cher et plus performant que le public dans tout et prend souvent à titre d'exemple les États-Unis où presque tout est privatisé. Par contre, pour ce qui est de la santé, leur prétention ne résiste pas du tout à l'analyse objective des faits. Selon des données de l'OCDE, les États-Unis ont consacré, en 1998, 4270 dollars per capita, ou 14% du produit intérieur brut (PIB) aux services de santé alors que 23 pays de l'OCDE, incluant le Canada, n'ont dépensé que 2000 dollars par habitant, soit 8% de leur PIB. Malgré cela, les chiffres de l'espérance de vie et de la mortalité infantile placent les États-Unis dans la moitié la plus basse des pays de l'OCDE. De plus, le beau modèle de la santé privée aux États-Unis fait que 42 millions d'individus n'ont aucune couverture d'assurance quelconque et que plusieurs dizaines de millions d'autres ne sont assurés que pour le strict minimum. Il ne faut pas oublier que ce sont les États-Unis qui accordent la plus grande place au privé, et de loin, dans le domaine de la santé parmi tous les pays de l'OCDE.

Si l'État a des problèmes de ressources financières pour s'occuper convenablement de la santé, de l'éducation, de la sécurité du revenu, etc., c'est en raison de recettes fiscales moindres qui ont été voulues et imposées par le patronat. Les mêmes qui ont exigé et obtenu des baisses d'impôts savaient très bien qu'ainsi, l'État diminué par des recettes fiscales moindres, devrait obligatoirement privatiser et couper dans ses programmes. Les affairistes qui ont exigé le déficit zéro et des réductions substantielles d'impôts sont naturellement les mêmes qui, sentant la bonne affaire, ordonnent maintenant la privatisation de tous les services publics allant de la santé à l'eau, aux pensions de vieillesse à l'éducation. Il est tout à fait inadmissible que l'État doive couper dans ses programmes sociaux à la population et qu'il envisage de privatiser plusieurs services publics. Nous avons connu au Canada une croissance économique fulgurante depuis les douze dernières années qui ne s'est jamais vue depuis les années trente.

Dans cette étude, nous nous intéresserons plus particulièrement à la cause de la hausse vertigineuse du prix des médicaments brevetés. Selon les calculs mêmes de l'organisme de recherche patronal de l'Institut Fraser, le coût des médicaments a augmenté de 1267% au cours des 25 dernières années, soit de 1975 à 2000. Ainsi, les médicaments représentaient 8,8% de l'ensemble des dépenses de santé en 1975 contre 15,5% en l'an 2000, soit 25 ans plus tard. Aucune autre composante des dépenses en matière de santé n'a connu une aussi forte augmentation.

En proportion de la richesse collective mesurée par le produit intérieur brut (PIB), les gouvernements et le privé consacraient moins d'argent à la santé au Canada en 1998 (9,3%) qu'en 1992 (9,9%). De 1996 à 2000, la rémunération du personnel du réseau de la santé au Québec a augmenté de 2% (106 millions de dollars) et celui des médicaments de 205% (913 millions de dollars). Enfin, l'ex-ministre de la santé du Québec, madame Pauline Marois et le président du Conseil du Trésor, M. Joseph Facal, ont affirmé que les coûts de l'assurance-médicaments augmentaient à un rythme de 15% l'an depuis 1997 dont l'essentiel provient de l'augmentation substantielle du prix des médicaments.

Il est inquiétant de voir le premier ministre du Québec Bernard Landry, les ministres Pauline Marois et Rémi Trudel brandir la possibilité d'abolir le régime public d'assurance-médicaments en raison de la hausse du coût des médicaments, comme en font foi les titres de ces articles de journaux récents :

"Le régime d'assurance-médicaments pourrait être abandonné - Les Québécois devront accepter d'en assumer les coûts s'ils désirent qu'il soit maintenu, déclare Pauline Marois". La Presse du 9 novembre 2001, Charles Côté, journaliste.

"L'avenir du régime d'assurance-médicaments sera l'objet d'un débat collectif, dit Bernard Landry - Le gouvernement veut qu'il reste, mais la population devra assumer les conséquences de ses choix". Le Journal de Montréal du 10 novembre 2001, article de la Presse Canadienne.

"Régime d'assurance-médicaments : Rémy Trudel n'élimine aucune possibilité, y compris son abolition". Le Journal de Montréal du 9 décembre 2001, article de la Presse Canadienne.

Dans le domaine plus général de la santé publique au Québec, cette déclaration du premier ministre fait vraiment frémir : "Bernard Landry propose de fixer un plafond aux dépenses de santé, soit un certain pourcentage du produit national brut (PNB), et s'en tenir à ça". La Presse du 17 mars 2000, Marie Tison, journaliste à la Presse Canadienne.

Enfin, dans un autre article de La Presse du 6 février 2001 signé par le journaliste Denis Lessard "Québec songe à "désassurer" certains services en santé", on mentionnait que l'ex-premier ministre du Québec, Lucien Bouchard et l'ex-président du Conseil du Trésor, Jacques Léonard, étaient très préoccupés par les exigences des maisons d'évaluation de crédit, à New York. Selon ces dernières, une augmentation supérieure des dépenses de la santé de 3% pourrait signifier une décote de la Province de Québec.

Tout ça n'est que fumisterie et démagogie. Car, deux jours plus tard, soit le 8 février 2001, on pouvait lire ceci dans un article de Robert Dutrisac du journal Le Devoir : "Santé et éducation : Québec n'a pas à craindre une décote. C'est un bon moment pour faire du rattrapage juge Standard and Poor's". Selon Valery Blair, spécialiste des finances publiques de cette importante institution de notation, "le gouvernement du Québec pourrait hausser de plus de 5% son budget en éducation et davantage en santé, sans que les firmes de notation de crédit réagissent en abaissant sa cote de crédit. Investir davantage dans la santé et l'éducation plutôt que de réduire les impôts, c'est peut-être la meilleure stratégie en ce moment", jugeait l'analyste.

Il est tout à fait inadmissible que seule la population soit appelée par les gouvernements à défrayer la hausse phénoménale du coût des soins de santé alors que ces mêmes élus ont clairement reconnu qu'une partie importante de l'augmentation des dépenses de la santé provient de la hausse fulgurante du prix des médicaments. En toute logique, afin de résoudre correctement un problème, il faut identifier sa source et s'y attaquer. Nos politiciens, qui sont pourtant censés être au service de l'intérêt supérieur de la collectivité, préfèrent s'attaquer aux victimes plutôt qu'à la véritable source du problème. Afin de satisfaire les intérêts supérieurs de ceux qui les font élire et qui les embauchent après leur service politique, nos élus préconisent des mesures restrictives : privatisations, désassurance, tarification des services, abolition et ticket modérateur comme les seules voies à suivre contrairement à ce qui devrait être fait pour assurer le mieux-être de la population et des générations futures en matière de santé.

 

 

3- OBJECTIFS DE LA RECHERCHE

 

Notre système de santé public constitue un acquis social important et essentiel pour la collectivité et pour lequel nos gouvernements consacrent aujourd'hui moins de ressources en pourcentage du produit intérieur brut. Pourtant, la croissance économique phénoménale des dix dernières années aurait dû représenter un moment propice pour investir davantage dans ce domaine afin de l'améliorer. Au contraire, nos gouvernements ont préféré allouer nos ressources collectives à d'importantes baisses d'impôts, à multiplier les abris fiscaux et à encourager l'évasion fiscale dans les paradis fiscaux qui n'ont fait que profiter aux entreprises et aux nantis. Ainsi privé de ressources financières importantes, l'État a sabré dans de nombreux services publics, multipliant volontairement les problèmes. Dans le domaine de la santé, ce n'est justement pas les problèmes qui manquent au risque de mettre en péril le droit légitime à la vie et à des soins appropriés dans un délai de temps acceptable. On dirait que pour nos gouvernements les programmes sociaux (santé, éducation, eau, énergie, infrastructures, logement social) sont devenus un mal nécessaire.

Face à ce problème créé de toutes pièces par les politiciens, le patronat et les nantis, ces derniers suggèrent aujourd'hui de privatiser un grand pan de la santé publique, d'imposer un ticket "modérateur" et même, comble du mépris, d'accorder de généreuses déductions fiscales à ceux qui ont et qui auront recours aux services de santé privée. Ainsi, selon eux, on aboutira à un meilleur système de santé pour tous. Mais, ne soyons pas dupes de leurs supercheries. Alors que toutes ces modifications profondes de notre système de santé public reposent avant tout sur des bases idéologiques, on essaie de nous faire croire qu'il n'en est rien et que tout va se faire au nom du pragmatisme, de la rigueur, de l'objectivité, du gros bon sens, de la modernité, etc. Ces changements, nous dit-on, sont nécessaires et incontournables comme l'ont été les privatisations, la sous-traitance, la déréglementation, les baisses d'impôts, etc. En gros, c'est ça l'idéologie néolibérale qui profite à une minorité au détriment de la majorité.

Avec la privatisation partielle de notre système de santé public et le retrait de l'État, ce que la classe moyenne a été en mesure de récupérer un petit peu en baisses d'impôts, elle devra le rembourser mais en beaucoup plus, en soins de santé privée, que ce soit aux hôpitaux privés, aux compagnies d'assurances privées et aux médecins devenus des entrepreneurs privés, etc. Comme cela se passe aux États-Unis, tans pis pour les travailleurs peu rémunérés, les retraités et les démunis qui n'auront pas les moyens de se payer des soins privés.

Dans cette étude, notre but premier est d'observer empiriquement et objectivement, à l'aide de données factuelles, un élément important du système de santé, soit le comportement réel des multinationales pharmaceutiques brevetées. Cette composante a été, selon nous, volontairement évacuée dans l'identification de la source des problèmes liés au domaine de la santé et dans la recherche de solutions. Si nos analyses nous permettent d'observer des rendements anormaux découlant de prix excessifs des médicaments, alors nos gouvernements devraient, au nom de l'intérêt supérieur de la collectivité, s'attaquer à l'origine du problème.

Découlant de ces constatations, nous verrons s'il existe, dans l'industrie pharmaceutique, un véritable marché, au sens économique du terme, dans lequel il est censé y avoir de nombreux agents économiques qui se font une vive concurrence, permettant ainsi une allocation optimale des ressources et l'instauration du "juste prix" des produits et des services délivrés. Tous admettent que dans une économie capitaliste, les monopoles et les oligopoles privés sont à proscrire au nom de l'efficacité économique.

 


4- MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

 

Cette étude constitue la troisième réalisée par la Chaire d'études socio-économiques de l'Université du Québec à Montréal sur l'industrie pharmaceutique. Les deux premières furent publiées en juillet 1993 et en juin 1998*.

Les données financières furent puisées à même les rapports annuels des entreprises étudiées. Par conséquent, notre étude repose sur des données empiriques colligées à même les documents officiels issus des compagnies elles-mêmes et non sur des modèles économiques théoriques qui reposent toujours sur des hypothèses et des variables subjectives qui prétendent refléter la réalité. Notre étude porte sur dix ans, soit les années 1991 à 2000 inclusivement. Cette période est suffisamment longue pour nous permettre d'observer un cycle économique complet et vient renforcer le poids de nos observations et de nos conclusions. Les chiffres présentés dans le texte et dans les tableaux sont exprimés en dollars U.S. Quant aux compagnies anglaises, nous avons converti la livre sterling en dollar américain au taux moyen de chacune des dix années.

Nous avons analysé les neuf plus grandes compagnies pharmaceutiques américaines et anglaises qui fabriquent et commercialisent principalement des produits d'origine, c'est-à-dire des produits pharmaceutiques disponibles sur ordonnance du médecin. Nous avons exclu les entreprises pharmaceutiques qui s'en tiennent généralement à des produits courants en vente libre, comme Johnson & Johnson et American Home Products.

Nous avons retenu le bénéfice net, tel qu'indiqué à l'état des résultats, compte non tenu des gains ou des pertes extraordinaires découlant de radiations d'actifs, de ventes d'entreprises, d'opérations de changes, etc. En raison des faibles taux d'inflation ayant eu cours en Occident au cours des dix dernières années, nos données financières n'ont pas été ramenées en dollars constants, c'est-à-dire indexées pour tenir compte de l'évolution du niveau général des prix.


Par ordre d'importance, voici la liste des neuf compagnies pharmaceutiques étudiées :

 

Ventes de l'année 1998
(en milliards de dollars)

 Américaines

 U.S.


CDN

 1 Merck Co.

 26,9

 42,7

 2 Bristol-Myers Squibb Co.

 18,3

 29,0

 3 Pfizer Inc.

 13,5

 21,4

 4 Abbott Laboratories

 12,5

 19,8

 5 Warner-Lambert Co.

 10,2

 16,2

 6 Eli Lilly Co.

 9,2

 14,6

 7 Schering-Plough Corp.

 8,1

 12,9

 Anglaises

 U.S.


 CDN

 1 SmithKline Beecham

 13,4

 21,3

 2 GlaxoWellcome

 13,2

 21,0

 

Les neuf entreprises sélectionnées et analysées font partie des 15 plus grandes firmes de l'industrie pharmaceutique mondiale. Pour l'année 2000, selon la revue américaine Fortune, Merck Co., Pfizer Inc., GlaxoSmithKline et Bristol-Myers Squibb Co. se classent parmi les cinq plus importantes pharmaceutiques au monde pour leurs chiffres d'affaires.

Depuis 20 ans, on remarque une concentration accélérée des entreprises dans le secteur pharmaceutique :

- Dans les années '80, on assiste à la gigantesque fusion entre Bristol-Myers et Squibb aux États-Unis;

- Dans les années '90, Aventis et Novartis, deux compagnies pharmaceutiques européennes (parmi les dix plus grandes au monde), sont issues de fusions et d'acquisitions impliquant des géants comme Sandoz, Hoffman-Laroche, Hoecht et Ciba-Geigy.

- Durant cette même période, en Grande-Bretagne, la compagnie Glaxo fusionne avec Wellcome;

- En l'an 2000, on assiste à la fusion de Pfizer et de Warner-Lambert qui porte dorénavant le nom de Pfizer Inc.

- En Grande-Bretagne, GlaxoWellcome et SmithKline Beecham ont aussi fusionné au cours de cette même année. L'entreprise porte désormais le nom GlaxoSmithKline.

Par conséquent, des neuf sociétés analysées en 1991, il n'en restait plus que sept à la fin de l'an 2000, soit six américaines et une anglaise. Comme Glaxo a fusionné avec Wellcome, nous avons analysé ces deux compagnies comme une seule et même entité de 1991 à 1998 car les états financiers consolidés et ajustés étaient disponibles. Autre fait à noter, le 28 septembre 2000, Bristol-Myers Squibb Co. a annoncé son intention de vendre ses divisions Clairol et Zimmer, ce qui explique la modification de leurs états financiers pour l'année 2000.

 

5- TAUX DE RENDEMENT APRÈS IMPÔTS

SUR LE CAPITAL INVESTI ET BÉNÉFICE NET

 

Le taux de rendement après impôts sur le capital investi ou l'avoir des actionnaires réalisé annuellement par l'industrie des compagnies pharmaceutiques brevetées dépasse tout entendement. Au cours des dix dernières années (l991-2000), il a été de 41% en moyenne pour les neuf sociétés étudiées. Réaliser un taux de rendement après impôt sur l'avoir des actionnaires de 41% alors que le taux d'inflation a oscillé autour de 2 à 3% durant la dernière décennie, est vraiment déraisonnable et se répercute sur le prix des médicaments brevetés et crée une pression énorme sur le coût des soins de santé, tant public que privé. Et dire que l'on prétend que, dans le système d'économie de marché, les taux de rendement anormaux sont inexistants. On postule que les taux de rendement élevés sont censés attirer de nouveaux concurrents qui ramèneront les rendements à un taux normal. Dans l'industrie pharmaceutique, c'est tout le contraire qui s'est produit au cours des vingt dernières années. Suite à d'importantes fusions, il y a de moins en moins de concurrents, ce qui fait que l'on ne peut plus parler de marché mais bien d'oligopole dans ce secteur d'activités. Il est évident que ces fusions, qui ont donné naissance à de puissantes multinationales, conjuguées à la hausse importante de la durée de protection des brevets accordés par les gouvernements occidentaux, qui est passé de 10 à 20 ans durant les deux dernières décennies, ont joué en faveur des entreprises pharmaceutiques brevetées. Au cours des cinq dernières années, les taux de rendement sur le capital investi de l'industrie pharmaceutique ont atteint des niveaux records :

Taux de rendement après impôts sur le capital investi

Neuf compagnies pharmaceutiques brevetées

1996

1997

1998

1999

2000

44,3%

43,9%

45,5%

45,9%

45,3%

 

À titre de comparaison, observons les taux de rendement après impôts sur le capital investi réalisés en l'an 2000 dans d'autres secteurs d'activités, tels que compilés par la revue américaine Fortune.

Taux de rendement après impôts sur le capital investi

Autres industries pour l'an 2000

Industries

Taux de rendement

Banques

16,7%

Produits chimiques

15,9%

Automobiles

15,6%

Énergie

13,0%

Télécommunications

10,9%


Tel que constaté, il y a un écart gigantesque allant de 29% à 34% entre l'industrie pharmaceutique et ces autres secteurs d'activités économiques quant aux taux de rendement réalisés pour l'année 2000. Selon un recensement effectué par la revue américaine Fortune pour 48 secteurs d'activités, le taux moyen de rendement a été de 15,6% en l'an 2000, une année marquée par une forte croissance économique. Il y a donc un écart d'environ 30% entre les taux de rendement des compagnies pharmaceutiques (45,3%) et tous les autres secteurs d'activités (15,6%), ce qui dépasse tout entendement.

Ces chiffres parlent d'eux-mêmes et constituent la principale cause de l'augmentation des coûts de l'assurance-médicaments au Québec et du coût des soins de santé publique. Même les politiciens admettent cette réalité que les données financières réelles démontrent sans l'ombre d'un doute. Alors pourquoi nos politiciens proposent-ils d'augmenter les primes de l'assurance-médicaments, la désassurance du panier de services médicaux offerts et la privatisation d'une partie de la santé publique? La réponse est toute simple, nous vivons sous le joug de ces mastodontes qui font ce qu'ils veulent. La privatisation ne règlera pas le problème puisqu'en dernier ressort ce sont les individus et les employeurs qui en défraieront les coûts astronomiques par le biais d'assurances privées au lieu de le payer à l'État par le biais de l'impôt. En privatisant, on augmente encore plus les coûts puisque s'ajoute un nouvel intermédiaire que sont les compagnies d'assurances qui sont absentes dans un système de santé public. On ne fait qu'amplifier le problème. La solution à la hausse du prix des médicaments et du coût des soins de santé publique passe par un rigoureux contrôle des prix des produits pharmaceutiques afin de ramener les taux de rendement à un niveau acceptable. Quiconque réalise des taux de rendement après impôts sur le capital investi de plus de 40% l'an, double son capital en deux ans.

 

Voici les championnes des taux de rendement après impôts sur l'avoir des actionnaires réalisés au cours des cinq dernières années :

Rendement après impôts de l'avoir des actionnaires

Pour la période de cinq ans 1996-2000

1996

1997

1998

1999

2000

Eli Lilly Co.

26,4%

31,9%

46,2%

53,9%

55,3%

SmithKline Beecham

58,3%

49,5%

53,2%

-

-

GlaxoSmithKline

-

-

-

55,6%

49,8%

Bristol-Myers Squibb

46,0%

48,5%

50,8%

51,4%

49,6%

Merck Co.

32,7%

37,5%

41,3%

45,2%

48,6%

Schering-Plough Corp.

65,9%

59,2%

51,5%

46,0%

42,9%

 

Le graphique suivant illustre clairement l'évolution spectaculaire du taux de rendement après impôts sur le capital investi de la multinationale pharmaceutique américaine Eli Lilly Co. :

La croissance démesurée des taux de rendement a permis aux neuf compagnies pharmaceutiques recensées de dégager en l'an 2000 un bénéfice net de 31 milliards de dollars U.S. comparativement à un bénéfice net de 11 milliards U.S. en 1991, soit une hausse de 182% en l'espace de dix ans. Le graphique suivant montre l'évolution annuelle de leurs bénéfices nets d'exploitation après impôts au cours des six dernières années, soit de 1995 à 2000 :

 

Voici le niveau d'augmentation du profit net des neuf compagnies observées pour chacune des six dernières années :

1995

1996

1997

1998

1999

2000

19,5%

21,5%

11,4%

13,5%

13,6%

13,1%

On peut facilement imaginer les pressions occasionnées sur les taux d'inflation par d'aussi grandes hausses annuelles du profit net réalisé par l'industrie pharmaceutique brevetée. Quelqu'un, quelque part, doit payer pour ces gros profits, et ce sont les individus et les gouvernements qui deviennent alors ceux qui pourvoient à l'enrichissement privé de ces firmes et de leurs actionnaires. Quelle mauvaise répartition de la richesse! Dire que l'on nous serine que le prix du marché est toujours le "juste prix" et que le marché fait une utilisation optimale des ressources. Optimale pour qui au juste?

 

6- ANALYSE DE SENSIBILITÉ DES TAUX DE RENDEMENT

 

Cette importante section de notre étude démontrera de combien le prix des médicaments pourrait baisser si l'industrie pharmaceutique brevetée réalisait des taux de rendement après impôts sur le capital investi "normaux" de l'ordre de 12%, de 15% ou de 18%, compte tenu des taux d'inflation d'environ 3% expérimentés au cours des dix dernières années. Ces taux de rendement de 12%, 15% et 18% reflètent bien la réalité si on se fie à l'étude de la revue américaine Fortune sur les taux de rendement après impôts sur le capital investi réalisés par l'ensemble des compagnies. Sur les 48 secteurs d'activités répertoriés par Fortune, seulement 15 d'entre eux ont atteint un taux de rendement supérieur à 18% et la moitié ont affiché un taux de rendement inférieur à 15%. Par conséquent, nous pouvons affirmer que nos taux de rendement souhaités pour l'industrie pharmaceutique sont conformes aux taux réels réalisés par les compagnies dans d'autres secteurs d'activités économiques.

Il faut bien l'admettre, et tous seront d'accord avec nous sur ce point, que réaliser, année après année, des taux de rendement après impôts sur le capital investi de plus de 40% alors que le taux d'inflation est inférieur à 3%, constitue carrément des taux de rendement "anormaux". Selon les postulats mêmes de l'économie de marché, qui suppose une vive concurrence, un accès libre à l'entrée du marché pour les nouveaux compétiteurs et l'absence de domination du marché par un ou une poignée d'agents économiques, de tels taux de rendement ne sont pas censés exister, surtout dans une période aussi longue de dix ans et compte tenu d'aussi faibles taux d'inflation.

Dans le cas de l'industrie pharmaceutique brevetée, ces taux de rendement anormalement élevés nous autorisent à affirmer qu'il n'y a pas de véritable marché dans le sens économique du terme. Dans un contexte de véritable marché, les tenants de ce modèle économique postulent que le prix du marché est toujours le juste prix. Avec de tels taux de rendement réalisés, personne ne peut sérieusement parler ici de "juste prix du marché".

Nous croyons que pour tout investisseur, réaliser un taux de rendement après impôts de 12%, de 15% ou même de 18% sur le capital investi, alors que le taux d'inflation est inférieur à 3%, est amplement satisfaisant et suffisant. Par exemple, celui qui réalise annuellement un taux de rendement après impôts de 12% double son capital en six ans, en moins de cinq ans à 15%, et en quatre ans pour quiconque réalise du 18% après impôts. N'oublions pas non plus que sans les hausses annuelles faramineuses du prix des médicaments brevetés, le taux d'inflation serait encore moindre. Ces taux de rendement exorbitants créent d'énormes pressions sur les taux d'inflation puisqu'il s'agit de produits de consommation courante. Enfin, les gouvernements et la population doivent être vigilants quant au prix des médicaments brevetés car il s'agit de biens essentiels à la vie.

Loin de nous l'idée de brandir des clichés simplistes comme "à bas le profit", mais dans l'industrie sous étude, nous clamons haut et fort "à bas les profits exorbitants des compagnies pharmaceutiques brevetées".
Si l'industrie pharmaceutique brevetée avait réalisé un taux de rendement après impôts sur le capital investi moyen de 12% au cours des dix dernières années (1991-2000), au lieu du taux actuel de 41%, le prix moyen des médicaments aurait diminué de 18,8% pour cette période. À un taux de rendement après impôts de 15%, celui-ci aurait baissé en moyenne de 16,8% pour chacune des dix dernières années et de 14,9% à un taux de 18%. C'est énorme. Ramener les compagnies pharmaceutiques brevetées à des taux de rendement après impôts sur le capital investi "normaux" constitue, selon nous, la réponse réaliste pour solutionner en partie le problème du coût public et privé des soins de santé. Cette solution serait définitivement favorable à la majorité de la population et pourrait être appliquée avec un minimum de volonté politique. Nos gouvernements ont démontré du "courage" pour "s'attaquer" aux déficits, aux programmes sociaux, aux employés de l'État, aux baisses d'impôts accordées aux compagnies et à certains individus. Auront-ils le courage politique et l'indépendance voulus pour résoudre le problème majeur de la hausse constante et importante du prix des médicaments brevetés? Hausse hypothéquant grandement notre système de santé canadien? La réponse est oui, "ils devraient", s'ils sont là pour vraiment servir les intérêts supérieurs de la collectivité comme ils le prétendent.

Voici, en résumé, de combien baisserait le prix des médicaments en dollars et en pourcentage si nous remplacions le taux de rendement après impôts sur le capital investi actuel moyen des dix dernières années (1991-2000) de 41% par des taux plus justes de 12%, de 15% et de 18% :

 

Baisses de prix des médicaments

Neuf compagnies pharmaceutiques brevetées
Pour la période de dix ans 1991-2000

Taux de rendement escompté

Baisses de prix des médicaments escomptées

12%

15%

18%

En pourcentage

18,8%

16,8%

14,9%

En milliards de $ U.S.

189,2

169,5

149,8

 

En dollars, ces baisses de prix seraient encore beaucoup plus importantes si nous avions étudié l'ensemble des compagnies de l'industrie pharmaceutique brevetée. Toutefois, en pourcentage, nous serions sensiblement arrivés au même résultat puisque nous avons retenu pour fin d'étude neuf des plus grandes sociétés pharmaceutiques mondiales qui représentent fidèlement une partie très importante de l'ensemble de cette industrie. L'industrie pharmaceutique est engagée dans une course aveugle aux profits démesurés. Ce qui est important à comprendre, c'est qu'une baisse du prix de vente des médicaments ne nuirait en rien à la santé financière de ces entreprises et améliorerait grandement la santé de la population en général.

 

7- MONTANTS VERSÉS AUX ACTIONNAIRES

 

Au cours des dix dernières années (1991-2000), les neuf compagnies pharmaceutiques étudiées ont versé 146 milliards de dollars U.S. à leurs actionnaires sous forme de dividendes (88 milliards) et de rachats d'actions (58 milliards), ce qui représente 77 % des profits réalisés par ces entreprises au cours de la période observée. Cela est évidemment énorme.

Afin d'illustrer le gigantisme des sommes versées aux actionnaires, faisons le parallèle avec quelques postes pertinents de leurs états financiers :

Montants versés aux actionnaires et autres postes

Neuf compagnies pharmaceutiques brevetées
Pour la période de dix ans (1991-2000)

Montants
versés aux actionnaires

Bénéfice net
après
impôts

Recherche
et
développement

Investissements
nets en
immobilisations

En milliards de $ U.S.

146

190

113

23

Montants versés aux
actionnaires en % de :

-

77%

129%

635%

 

Au cours des dix dernières années, elles ont versé 10 milliards U.S. de plus à leurs actionnaires (146 milliards U.S.) qu'elles ont investi en recherche et développement (113 milliards U.S.) et qu'elles ont consacré au renouvellement de leurs immobilisations (23 milliards U.S.) combinées. Elles ont distribué à leurs actionnaires 129% de plus qu'en recherche et développement et 635% de plus qu'en investissements nets en immobilisations.

Durant les trois dernières années observées (1998-2000), les rachats d'actions ont littéralement explosé à 33 milliards de dollars U.S., soit une moyenne annuelle de 11 milliards de dollars U.S. Ces rachats d'actions constituent l'antithèse de l'investissement productif et sont effectués dans le but de doper la valeur au marché de l'action en réduisant le nombre d'actions en circulation ou émises. Cela représente des milliards de dollars sortis de l'entreprise à des fins stériles et ne servent qu'à des fins de spéculation au seul profit des actionnaires. Ces compagnies font tellement d'argent qu'elles n'ont pas besoin d'emprunter ni de faire appel à des capitaux extérieurs. Bien au contraire, elles sortent l'argent de façon intensive en dividendes et en rachats d'actions.

En 1991, les montants versés aux actionnaires représentaient 63% du bénéfice net contre 87% en 1998, 85% en 1999 et 78% en 2000. En 1991, les compagnies pharmaceutiques étudiées ont versé 7 milliards de dollars U.S. à leurs actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d'actions par rapport à 24 milliards U.S. en l'an 2000, soit une augmentation phénoménale de 17 milliards U.S. ou de 243%.

Prenons l'exemple d'une des plus grandes entreprises pharmaceutiques au monde, l'américaine Merck Co. Au cours des cinq dernières années, cette multinationale a versé plus que la totalité de ses profits, soit 103%, à ses actionnaires par le biais de dividendes et de rachats d'actions! Elle a effectivement versé 773 millions de dollars U.S. de plus que le bénéfice total réalisé au cours de cette période comme le démontre le tableau suivant:

 

Pourcentage du bénéfice net versé
en dividendes et rachats d'actions

MERCK CO.

(en millions de dollars U.S.)

1996

1997

1998

1999

2000

Total

Bénéfice net après impôts

3881

4614

5248

5891

6822

26456

Montants versés aux actionnaires
En dividendes et rachats d'actions

4222

4613

5879

6172

6343

27229

 

Bénéfices réinvestis
dans l'entreprise

-341

1

-631

-281

479

-773

 

Pourcentage du bénéfice net versé
En dividendes et rachats d'actions

109%

100%

112%

105%

93%

103%

 

Comme nos études précédentes sur l'industrie pétrolière l'ont éloquemment démontré, cela devrait suffire à mettre un bémol à certaines théories économiques simplistes qui postulent automatiquement que, plus les entreprises font des profits, plus elles investissent en immobilisations et en recherche et développement et plus elles créent de l'emploi. Nos études empiriques prouvent le contraire de ces postulats économiques bâclés, fondés sur la foi aveugle et sans discernement envers une certaine idéologie capitaliste. En fait, et cela est le propre de l'économie capitaliste, la priorité est et sera toujours accordée aux actionnaires bien avant les emplois, les régions, les investissements, les impôts, l'environnement et le mieux-être de la collectivité.

8- INVESTISSEMENTS NETS EN IMMOBILISATIONS

 

En 1991, le coût des immobilisations nettes, déduction faite de l'amortissement cumulé, présenté au bilan des neuf sociétés pharmaceutiques étudiées était de 25 milliards de dollars U.S. et il était de 48 milliards U.S. à la fin de l'an 2000, soit une augmentation de 23 milliards U.S. durant cette période. Cette variation tient compte des immobilisations acquises lors d'achats ou de fusions d'entreprises et qui ne représentent pas de véritables investissements nouveaux par les entreprises sous étude. Les actifs acquis lors d'achats d'entreprises ne constituent nullement des investissements productifs générateurs de retombées économiques et d'emplois. C'est tout le contraire. Mettons en parallèle cette hausse de 23 milliards de dollars U.S. avec les frais de marketing et d'administration, les profits nets et les sommes versées aux actionnaires des dix dernières années :

Investissements nets en immobilisations et autres postes

Neuf compagnies pharmaceutiques brevetées
Pour la période de dix ans (1991-2000)

Investissements nets en immobilisations

Frais de
Marketing et d'administration

Bénéfice
net après
impôts

Montants
versés aux actionnaires

En milliards de $ U.S.

23

316

190

146

Investissements nets
en immobilisations
en % de :

-

7%

12%

16%

 

 

Le graphique suivant permet de bien visualiser l'invraisemblance de la situation :

 

On peut constater, à la lecture de ce graphique, que les compagnies pharmaceutiques brevetées ont alloué des miettes pour l'investissement en immobilisations au cours des dix dernières années par rapport aux profits réalisés. Elles ont dépensé 14 fois plus en marketing et administration (316$ versus 23$) et elles ont versé 6 fois plus d'argent à leurs actionnaires (146$ versus 23$) qu'elles ont consacré au renouvellement de leur actif à long terme. Généralement, les entreprises ont intérêt à réinvestir leurs profits dans l'entreprise en nouveaux actifs à long terme afin de maximiser leur rendement à long terme, faire face à la concurrence et assurer leur croissance et leur viabilité. Mais, comme ces compagnies pharmaceutiques forment en quelque sorte un puissant oligopole mondial qui détient une part excessive de leur marché respectif, qu'elles jouissent de lois avantageuses concernant la propriété intellectuelle de leurs brevets et qu'elles sont confortées par des traités commerciaux à portée mondiale, elles jouissent alors d'un immense pouvoir et adoptent des comportements qui vont à l'encontre de la fameuse économie de marché. En tout cas, ce n'est pas en s'appuyant sur de telles observations qu'Adam Smith, le père du libéralisme économique, a édicté ses "lois du marché". Mais, on continue à enseigner et nous seriner les postulats économiques formulés il y a plus de trois siècles alors que l'environnement économique, politique et social était tout autre. Il y a trois siècles, d'aussi puissantes multinationales protégées par de nombreuses lois n'existaient pas. Qu'on se le dise une fois pour toutes, les postulats du modèle fondé sur le libéralisme économique, énoncés il y a trois siècles, ne tiennent plus la route aujourd'hui, car dans plusieurs secteurs d'activités les oligopoles ont remplacé le marché d'antan qui regroupait des centaines pour ne pas dire des milliers de concurrents. Aujourd'hui, contrairement à ce qu'affirme la théorie de l'économie de marché, plus les entreprises réalisent de juteux profits, plus elles vont en verser à leurs actionnaires. Oubliez donc la théorie caduque qui dit que plus les compagnies dégagent de profits plus elles vont investir, plus elles vont créer de l'emploi, plus elles vont payer de l'impôt etc. Tout est centré vers la maximisation du rendement à court terme des actionnaires et des gestionnaires et rien d'autre.

 

9- MARKETING ET ADMINISTRATION VERSUS

RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT

 

Au cours des dix dernières années (1991-2000), les neuf compagnies pharmaceutiques étudiées ont dépensé 316 milliards de dollars U.S. en frais de marketing et d'administration contre 113 milliards de dollars U.S. en frais de recherche et de développement, soit 2,8 fois plus. Par ailleurs, au cours des dix dernières années, elles ont versé 146 milliards de dollars U.S. à leurs actionnaires, soit 129% de ce qu'elles ont investi en recherche et développement. De plus, nous devons prendre avec une certaine réserve les montants que les pharmaceutiques prétendent dépenser en recherche et développement car la ligne de démarcation entre recherche et développement et commercialisation est souvent ténue. Il se peut fort bien que des frais de commercialisation aient été imputés aux frais de recherche et développement dans le but de "dorer la pilule". Voici, pour quelques entreprises, les montants dépensés en marketing et administration comparés aux sommes allouées en recherche et développement pour les dix dernières années :

 

Marketing et Administration

Recherche et Développement

Marketing & Administration sur
Recherche & Développement

Dix ans (1991-2000)

En milliards de dollars U.S.

Warner-Lambert Co.*

24,7

4,4

561%

Bristol-Myers Squibb

54,3

13,5

402%

SmithKline Beecham*

32,3

8,6

376%

Schering-Plough Corp.

23,6

7,9

299%

* Période de 8 ans (1991-1998)

 

Le graphique ci-dessous montre, pour chacune des dix dernières années, le rapport existant entre les frais de marketing et d'administration et les frais de recherche et de développement. Comme nous l'avons dit plus tôt, pour l'ensemble de l'industrie pharmaceutique les sommes dépensées ont été 2,8 fois plus importantes en marketing et en administration qu'en recherche et développement durant les dix dernières années:

 

Il est facile de croire que les entreprises pharmaceutiques exigent des prix de vente très élevés pour investir en recherche et développement. Or, comme nous venons de le prouver, les sommes dépensées en marketing et administration sont de loin supérieures aux montants consacrés à la recherche et au développement. La vente des médicaments constitue donc, et de loin, la priorité des pharmaceutiques plutôt que le besoin d'en créer de nouveaux à des coûts moindres.

10- INTÉRÊTS : REVENUS ET DÉPENSES

 

Au cours des dix dernières années (1991-2000), les neuf compagnies pharmaceutiques brevetées étudiées ont encaissé 12,4 milliards de dollars U.S. en revenus d'intérêts et ont supporté pour 13,1 milliards de dollars U.S. en dépenses d'intérêts :

Revenus et dépenses d'intérêts

Neuf compagnies pharmaceutiques brevetées
Pour la période de dix ans 1991-2000

En milliards de $

U.S.

CDN

Revenus d'intérêts

12,4

19,7

Dépenses d'intérêts

13,1

20,8

Différence

0,7

1,1

 

Elles ont encaissé 12,4 milliards U.S. sur une période de dix ans en revenus d'intérêts, soit une moyenne annuelle de 1,24 milliard U.S. Qui dit mieux? Elles ont encaissé ces montants faramineux en revenus d'intérêts même si elles ont versé 146 milliards U.S. à leurs actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d'actions. N'eut été de ces versements hors de l'ordinaire à leurs actionnaires, les revenus d'intérêts auraient certainement doublé. Autant de revenus d'intérêts empochés par ces pharmaceutiques font d'elles des quasi-banques. Cela démontre bien, conjointement avec les statistiques sur le taux de rendement après impôts sur le capital investi et les gigantesques profits réalisés abordés dans les sections précédentes, le côté absolument indécent de cette industrie. Aucune autre industrie ne jouit d'une situation aussi avantageuse. Pourtant, cela n'empêche pas les économistes tenants du néolibéralisme de nous ressasser inlassablement les "lois naturelles du marché". Absolument et totalement ridicule! Dans l'industrie sous étude et dans l'économie en général, il n'y a ni "lois", ni "nature" et ni "marché". Il faudrait plutôt parler des combines financières toutes humaines, planifiées et imposées par le cartel des multinationales dans le monde.

En rapport avec ces énormes revenus d'intérêts, nous verrons dans les deux sections subséquentes que les sociétés pharmaceutiques jouissent d'énormes liquidités (encaisse) et d'un coefficient d'endettement ridiculement bas. Ces éléments sont intimement liés entre eux.

À elle seule, la multinationale américaine Merck Co. a encaissé 2,4 milliards U.S. en revenus d'intérêts au cours des dix dernières années et a versé 1,7 milliard U.S. en charges d'intérêts, pour un excédent des revenus sur les dépenses d'intérêts de 700 millions U.S. Face à de telles données, on peut affirmer que Merck Co. est tout autant une banque qu'une compagnie pharmaceutique.

 

11- ENCAISSE

 

Malgré le fait qu'au cours des dix dernières années les compagnies pharmaceutiques brevetées aient versé la faramineuse somme de 146 milliards de dollars U.S. à leurs actionnaires, sous forme de dividendes et de rachats d'actions, elles détenaient, au 31 décembre 2000, 28 milliards de dollars U.S. d'encaisse et de quasi-espèces. Pour bien situer l'importance de ces liquidités astronomiques, disons qu'elles représentaient 17% de l'actif total au 31 décembre 2000, 58% des immobilisations et 215% des emprunts à long terme tel qu'indiqué dans le tableau qui suit :

Encaisse et quasi-espèces et autres postes

Neuf compagnies pharmaceutiques brevetées
Au 31 décembre 2000

Encaisse et Quasi-espèces

Actif
total

Immobilisations
Nettes

Dette à
long terme

En milliards de $ U.S.

28

164

48

13

Encaisse et quasi-espèces
en % de :

-

17%

58%

215%

 

Au 31 décembre 1991, ces neuf sociétés pharmaceutiques affichaient une encaisse de 12 milliards U.S. contre des liquidités de 28 milliards U.S. au 31 décembre 2000, soit une ronflante augmentation de 133% en l'espace de neuf ans. L'argent leur sort par les oreilles et fait de ces dernières des quasi-banques tel que nous l'avons très bien démontré dans la précédente section. Voilà un autre élément probant comme quoi la situation des compagnies pharmaceutiques brevetées est tout simplement inacceptable et scandaleuse.

Voici la situation liquide de certaines pharmaceutiques brevetées au 31 décembre 2000 exprimée en milliards de dollars U.S. :

Encaisse

Actif Total

Immobilisations nettes

Dette à long terme

$

$

%

$

%

$

%

Eli Lilly Co.

4,6

14,7

31%

4,2

110%

2,6

177%

Schering-Plough Corp.

2,4

10,8

22%

3,4

71%

0,1

2400%

Bristol-Myers Squibb Co.

3,4

17,6

19%

4,5

76%

1,3

262%

Pfizer Inc.

6,9

33,5

21%

9,4

73%

1,1

627%

Nous croyons que les chiffres ci-dessus convaincront les sceptiques.

 

 

12- COEFFICIENT D'ENDETTEMENT À LONG TERME

 

En corollaire avec leurs énormes liquidités, leurs juteux revenus d'intérêts et leur prodigieuse rentabilité, les neuf compagnies pharmaceutiques brevetées analysées n'ont évidemment pratiquement pas besoin de recourir à du financement externe par le biais d'emprunts à long terme. En effet, au 31 décembre 2000, elles affichaient un coefficient d'endettement à long terme (dette à long terme sur actif total) ridiculement bas de 8%, de quoi faire mourir d'envie toute entreprise. Au 31 décembre 2000, elles affichaient dans leur bilan une dette à long terme combinée de 13 milliards de dollars U.S. à rapprocher d'un actif total de 164 milliards U.S., soit un taux d'endettement de seulement 8% comme nous l'avons dit auparavant.

Tel que signalé dans la section précédente, ces neuf compagnies pharmaceutiques détenaient, au 31 décembre 2000, 2 fois plus d'encaisse (28 milliards U.S.) que d'emprunts à long terme (13 milliards U.S.). Qui dit mieux! Voici quelques chiffres pertinents mettant en rapport le faible endettement à long terme des pharmaceutiques avec d'autres postes du bilan au 31 décembre 2000 :

Dette à long terme et autres postes

Neuf compagnies pharmaceutiques brevetées
Au 31 décembre 2000

Dette à
long terme

Encaisse et
quasi-espèces

Actif
total

En milliards de $ U.S.

13

28

164

Dette à long terme
en % de :

-

46%

8%

 

 

Voici le coefficient d'endettement à long terme des compagnies pharmaceutiques analysées au 31 décembre 2000 tel qu'indiqué à leurs états financiers :

Coefficient d'endettement

Sept compagnies pharmaceutiques brevetées
Au 31 décembre 2000

Dette à long terme sur

Actif total

Schering-Plough Corp.

1,0%

Pfizer Inc.

3,4%

Abbott Laboratories

7,0%

Bristol-Myers Squibb Co.

7,6%

GlaxoSmithKline

8,1%

Merck Co.

9,0%

Eli Lilly Co.

17,9%

 

Par exemple, Schering-Plough Corp. affichait au 31 décembre 2000 une encaisse de 2,4 milliards U.S. et des emprunts à long terme de 109 millions U.S., soit une encaisse 22 fois plus élevée que son endettement total à long terme. Au 31 décembre 1999, elle indiquait à son bilan une dette à long terme totale de 6 millions U.S. et une encaisse de 1,9 milliard U.S. Pour l'an 2000, ses revenus d'intérêts encaissés sur ses grosses liquidités furent de 159 millions U.S. Ses revenus d'intérêts annuels excèdent le montant de ses emprunts à long terme à la fin de son exercice financier.

 

13- MARGES DE BÉNÉFICE BRUT

ET DE BÉNÉFICE NET SUR VENTES

 

Au cours des dix dernières années (1991-2000), les neuf sociétés pharmaceutiques brevetées étudiées ont dégagé une marge de bénéfice brut sur ventes moyenne de 69%. Tout simplement phénoménal. Le bénéfice brut constitue le chiffre obtenu lorsque nous soustrayons des ventes le prix coûtant des produits fabriqués et vendus. Pour chacune des six dernières années (1995-2000), Schering-Plough Corp. a toujours réalisé une marge brute sur vente supérieure à 80%. Quant à Pfizer Inc., son bénéfice brut sur ventes fut de 80% en 1999 et de 83% en l'an 2000. Chez GlaxoSmithKline, il fut respectivement de 77% et de 79% pour les deux mêmes exercices. Voici le pourcentage de bénéfice brut effectué par quelques-unes de ces entreprises durant la dernière décennie (1991-2000) :

Schering-Plough Corp.
Eli Lilly Co.
Bristol-Myers Squibb Co.

80%
75%
74%

 

Quant à la compagnie Merck Co., nous pouvons difficilement expliquer le fait que sa marge brute, qui était de 78% en 1992, a continuellement diminué depuis pour atteindre 44% en l'an 2000. Probablement qu'ils ont adopté de nouvelles règles comptables afin de comptabiliser le coût de leurs produits fabriqués et vendus qui ne fait, ne l'oublions pas, l'objet d'aucune norme comptable réglementée. Chaque entreprise a le loisir d'utiliser les pratiques comptables qui lui plaisent.

On obtient le bénéfice net en déduisant du chiffre des ventes toutes les charges d'exploitation de l'entreprise, incluant l'impôt sur le revenu. Pour les neuf pharmaceutiques brevetées faisant l'objet de notre étude, la marge de bénéfice net sur ventes fut de 19% au cours des dix dernières années (1991-2000). Au cours des six dernières années, le pourcentage de bénéfice net sur ventes de l'industrie pharmaceutique a augmenté à chaque année comme le démontre le tableau suivant :

 

En l'an 2000, la marge de bénéfice net sur ventes fut de 28% pour Eli Lilly Co., de 25% pour Schering-Plough Corp., de 21% chez GlaxoSmithKline et enfin de 20% chez Abbott Laboratories.

De plus, la revue américaine Fortune place l'ensemble de l'industrie pharmaceutique au premier rang de son classement des "most profitable industries
" pour l'année 2000, loin devant le secteur bancaire (2e rang).

Rang de l'industrie

Secteurs d'activités

Marge de bénéfice
net sur ventes pour
l'année 2000

1

Pharmaceutiques

18,6%

2

Banques

14,1%

3

Réseaux et équipements de communications

13,4%

4

Semi-conducteurs et composantes électroniques

12,7%

5

Mines et extraction pétrolière

10,8%

6

Boissons

10,6%

7

Télécommunications

10,6%

8

Équipements de contrôle, scientifiques et photo

10,4%

9

Produits financiers

10,1%

10

Ordinateurs et services de données

9,7%

 

14- RECOMMANDATIONS

 

Devant les faits probants exposés dans notre étude et fondés sur une analyse exhaustive des états financiers de neuf des plus grandes multinationales pharmaceutiques du monde, nos gouvernements doivent avoir le courage politique d'intervenir afin de veiller aux intérêts supérieurs de la collectivité.

 

A- Politiques économiques

Premièrement, il faut imposer un contrôle des prix des médicaments brevetés afin que cessent ces rendements déraisonnables réalisés sur le dos des citoyens par les multinationales pharmaceutiques. En période d'inflation de moins de 3%, ramener les pharmaceutiques à un taux de rendement après impôts sur le capital investi de 15% nous apparaît fort raisonnable et ferait baisser de la sorte le prix des médicaments d'environ 17%. Les prix actuels imposés par l'oligopole pharmaceutique constituent carrément une forme de "taxage" prenant la population en otage.

Deuxièmement, il faut interdire dans le domaine pharmaceutique les fusions et les acquisitions parmi les grandes multinationales étrangères afin de mettre fin à ce puissant oligopole qui impose sa loi partout dans le monde. Il faudrait même penser à obliger certaines des plus grandes firmes pharmaceutiques à se scinder afin de ramener un niveau de concurrence acceptable, cohérent avec les fondements mêmes de l'économie de marché. Dans sa structure actuelle, le concept de "marché" est inexistant dans l'industrie pharmaceutique et a plutôt été remplacé par une structure oligopolistique. D'ailleurs, s'il existait un "marché" véritable, les taux de rendement après impôts sur le capital investi actuels seraient nettement moindres.

Troisièmement, il faudrait ramener la durée de la protection intellectuelle des brevets des compagnies pharmaceutiques de vingt à dix ans. Une période de dix ans est, selon nous, nettement suffisante afin de recouvrir l'investissement engagé en frais de recherche et de développement. D'ailleurs, depuis que les gouvernements ont allongé la durée de protection des brevets pharmaceutiques à vingt ans, les bénéfices, les rendements et les prix des médicaments ont littéralement explosé dans cette industrie.

Quatrièmement, les provinces et les pays devraient se regrouper afin de rétablir un certain rapport de forces avec l'industrie pharmaceutique et négocier, sinon imposer, des prix inférieurs pour les médicaments prescrits.

 

B- Politiques fiscales

Cinquièmement, les gouvernements devraient faire un sérieux ménage dans tous les privilèges et abris fiscaux et dans les subventions directes et indirectes accordées aux compagnies pharmaceutiques. Il est tout simplement indécent d'aider, à l'aide de fonds publics, des entreprises aussi rentables qui appauvrissent les gens et qui les privent de médicaments essentiels à des prix abordables.

Sixièmement, nos gouvernements doivent éliminer l'utilisation des paradis fiscaux effectuée par les multinationales pharmaceutiques qui, par le jeu de filiales et de compagnies apparentées installées dans ces endroits, s'adonnent à de l'évasion fiscale par le biais de prix de transfert et autres moyens. Ces fraudes fiscales privent les gouvernements de recettes fiscales importantes comme l'ont éloquemment démontré plusieurs études.

Septièmement, il faudrait instaurer un impôt minimum fédéral provincial de 20% à toutes les entreprises canadiennes, ce qui est, tous en conviendront, vraiment un minimum.

Huitièmement, il faut rendre les frais de lobbying non déductibles d'impôts.

 

C- Politiques sociales

Neuvièmement, il faut interdire pendant au moins dix ans à tout politicien qui quitte ses fonctions de dénicher un emploi lié directement ou indirectement (firmes de lobbying, de relations publiques, d'avocats, etc.) à l'industrie pharmaceutique afin d'éviter tout conflit d'intérêt véritable ou apparent.

Dixièmement, il faut imposer un code d'éthique à l'industrie pharmaceutique en termes de marketing et de publicité.

Onzièmement, il faut revoir certains éléments des traités de libre-échange qui accordent trop de privilèges et de droits au secteur privé en général et aux pharmaceutiques en particulier. Le droit de contracter des compagnies ne doit en aucun temps primer sur le droit à la vie, à un environnement sain, à des conditions de travail acceptables, à une contribution fiscale adéquate, au licenciement abusif des travailleurs, à la fermeture d'usine, etc.

Douzièmement, il faut amener les pharmaceutiques à baisser le prix de leurs médicaments dans tous les pays du Tiers-Monde.

Treizièmement, le gouvernement canadien devrait faire valoir son opposition totale à tout embargo économique pratiqué sur les médicaments et imposé contre tout pays quel qu'il soit et uvrer sérieusement à faire abolir ceux existants envers des pays comme Cuba et l'Irak. Ces embargos sont tout simplement ignobles et criminels.

 

15- CONCLUSION

 

Hors de tout doute, pour le mieux-être de la majorité, il faut conserver notre système de santé public dans son intégralité et il faut absolument investir des fonds publics additionnels afin de pallier aux nombreuses lacunes. Cela est tout à fait possible pour nos politiciens en ayant simplement recours à une approche pragmatique. Dans la section précédente, nous avons formulé des recommandations réalistes et faciles à appliquer avec un minimum de bonne volonté et de courage de la part de nos élus : Contrôle des prix et du rendement sur le capital investi des pharmaceutiques, abolition de l'évasion fiscale dans les paradis fiscaux, fiscalité plus équitable envers les pharmaceutiques, instauration d'un impôt minimum fédéral-provincial de 20%, réduction de la protection intellectuelle des brevets de 20 à 10 ans, etc.

Mais il ne faut pas se faire d'illusion, nos politiciens, sous la pression des lobbies des pharmaceutiques, des compagnies d'assurances, des hôpitaux privés, des médecins et du patronat en général, préfèreront utiliser une approche idéologique qui profitera à une minorité d'affairistes et d'opportunistes au détriment de la majorité de la population. Toutes les études sérieuses le démontrent, et l'exemple des États-Unis à cet effet est éloquent, le privé coûte beaucoup plus cher que le public dans le domaine de la santé car il faut introduire l'élément important du profit exigé par les compagnies privées et l'ajout d'un nouvel intermédiaire que sont les compagnies d'assurances. Ces deux éléments majeurs, qui dopent outrageusement les prix, sont absents dans un système de santé public.

Mais les privilégiés de la société veulent à tout prix obtenir leur propre système de santé privée tout comme ils ont leurs propres écoles privées, leurs autoroutes privées, leurs villes de plus en plus privées, etc. Le gratin ne veut pas être soigné dans les mêmes hôpitaux, être éduqué dans les mêmes écoles et vivre dans les mêmes villes que le monde ordinaire. Et comme ce sont eux qui font élire leurs politiciens, qui souvent proviennent du même milieu qu'eux, ils auront encore gain de cause comme ils l'ont eu depuis plus de vingt ans avec leurs baisses d'impôts, l'instauration de leurs paradis fiscaux, leurs privatisations, leurs fusions d'entreprises, leur déréglementation, etc.

Strictement sur le plan économique, un système de santé public est supérieur. Même si nous avançons des arguments économiques et sociaux meilleurs afin de maintenir et d'améliorer notre système de santé public, les politiciens, les affairistes et leur suite vont alors répliquer avec des arguments risibles et simplistes du genre : c'est incontournable, c'est la modernité, c'est la mondialisation, c'est au nom de l'efficacité et de l'efficience supérieures du privé, c'est à cause des pseudo-lois du pseudo-marché, c'est en raison de la rigueur économique, etc. Alors ils privatiseront notre système de santé après avoir fait, comme toujours, leur pseudo-débat public qui n'est en fait qu'un ridicule vaudeville dont les dés sont toujours pipés à l'avance. Ainsi, comme ils l'ont d'ailleurs toujours fait (déficit zéro, réduction de la dette, assurance-chômage, etc.), après s'être assurés que la population est résignée et aliénée, les politiciens et leurs affairistes mettront, à leur profit, le grappin sur un autre de nos instruments collectifs. Dorénavant, quoi que nous fassions, même pour des services publics essentiels, nous devrons toujours nous en remettre à des affairistes et tant pis pour ceux et celles qui n'auront pas les moyens de se les payer.

Le plus ridicule et le plus désolant dans tout ça, c'est que la majorité de la population paiera une partie importante de la santé privée, qui ne lui sera toutefois pas accessible, car les contributions annuelles que les privilégiés paieront pour leur santé privée seront déductibles d'impôts comme le sont leurs contributions à leurs écoles privées, leurs dons de charité qui vont exclusivement à leurs propres causes, à leurs propres organismes, à leurs pays favoris, etc. Ne soyons pas dupes de leurs tromperies et il y va de l'intérêt de cette génération et des autres à venir de se solidariser pour empêcher ce démantèlement d'un de nos plus grands acquis sociaux qui nous a pris tant de temps et d'efforts à construire. Opposons-nous farouchement à la dilapidation de notre système de santé public au profit d'une minorité d'affairistes et effectuée sous le couvert d'arguments mensongers et fallacieux.

Plusieurs sondages récents l'ont démontré : les Québécois en particulier et les Canadiens en général ont toujours insisté pour donner préséance à l'investissement dans les secteurs de la santé et de l'éducation avant la baisse massive d'impôts.

- 12 juillet 1998, La Presse : "Les Canadiens plus préoccupés par la santé que par le chômage et l'unité".

- 7 novembre 1998, La Presse : "Baisse d'impôts : pas de presse", selon un sondage La Presse-CROP-TVA.

- 14 novembre 1998, Les Affaires : "Santé : trois-quarts des Québécois jugent les compressions trop sévères", selon un sondage Ad hoc-Recherche-Les Affaires.

- 27 novembre 1998, La Presse : "Les Québécois préfèrent l'investissement dans les services publics aux baisses d'impôts".

- 5 décembre 1998, Les Affaires : "Surplus budgétaires : les Québécois réinvestiraient dans la santé avant de réduire les impôts", selon un sondage Ad hoc-Recherche-Les Affaires.

- 1er décembre 1999, La Presse : "Les surplus pour la santé, disent les Québécois".

Comme nos élus s'acharnent à faire exactement le contraire de ce que souhaite la collectivité, on est en droit alors de se poser de sérieuses questions sur le sens véritable de notre démocratie et des intérêts particuliers que celle-ci met de l'avant.

Au lieu de toujours observer la part du privé qu'il y a aux États-Unis et dans d'autres pays occidentaux pour ensuite conclure qu'il faut aussi privatiser notre système de santé public canadien, pourquoi ne ferions-nous pas, pour une fois, abstraction de fondements idéologiques et n'observerions-nous pas de façon pragmatique et rigoureuse ce qui se passe réellement dans un pays comme Cuba? Avec des ressources économiques moindres et frappé par d'odieux embargos économiques de la part des États-Unis depuis plus de quarante ans, Cuba n'a-t-il pas un des taux de mortalité infantile les plus faibles et un des taux d'espérance de vie les plus élevés au monde? Cuba compte tellement de médecins et de spécialistes qu'il se permet même d'en envoyer des milliers dans plusieurs pays à titre d'aide humanitaire. Peut-être devrions-nous, à cet effet, faire appel à Cuba devant l'acuité de nos problèmes et réquisitionner leurs médecins ou faire soigner nos malades dans ce pays. Il en coûterait beaucoup moins cher que de les faire soigner aux États-Unis. Voilà un pays qui mise sur un système de santé totalement public et qui fonctionne très bien à coûts moindres. Mais, strictement sur une base idéologique, les politiciens, les affairistes et leurs porte-queue vont considérer notre suggestion nulle et non avenue. Ce qu'ils veulent vraiment, ce sont des arguments, même s'ils sont fallacieux, pour pouvoir privatiser tous nos services publics (de la santé à l'énergie, de l'éducation au transport public, de l'eau aux infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, etc.) afin d'en tirer de généreux profits aux dépens de la collectivité. Comme le dit si bien Michel Chartrand, le système capitaliste est apatride, anational et asocial. Si seulement les gens pouvaient se rendre compte de la véritable nature de ce système économique, il le rejetterait d'emblée.