REVUE DE PRESSE JUILLET 2003

 

La mortalité des Français avant 65 ans reste anormalement élevée

Tabac, alcool, accidents multiplient les risques

C'est un des paradoxes français. Si, dans l'Hexagone, l'espérance de vie après 65 ans est la plus élevée des pays de l'Union européenne, le niveau de mortalité prématurée (avant 65 ans), en revanche, reste particulièrement important, essentiellement chez les hommes. Dans son numéro du 8 juillet consacré à "la mortalité prématurée en France", le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l'Institut de veille sanitaire présente une série d'études épidémiologiques qui démontrent l'importance des "comportements à risque" dans le nombre des morts avant 65 ans.

Tabagisme, alcoolisme, suicide, accident de la circulation, "une grande part de la mortalité prématurée pourrait être évitée par une amélioration de la prévention", soulignent des chercheurs de l'Inserm.

Ainsi, en 1999, sur les 110 470 morts enregistrées avant 65 ans, 37 908 (dont 30 000 chez les hommes) correspondent à des morts dites "évitables" : cancers du poumon (9 500 décès), suicides (7 300), cirrhoses, psychoses alcooliques (7 000), accidents de la route (6 500), cancers des voies aéro-digestives supérieures (5 500).

"Les causes de décès évitables les plus fréquentes sont, avant 25 ans, les accidents de la circulation, entre 25 et 44 ans, le suicide, et, entre 45 et 64 ans, le cancer du poumon", notent les experts.

Autre fait marquant, la "carte" de la mortalité évitable fait apparaître de fortes disparités régionales, avec une opposition très marquée entre le Nord et le Sud. Ainsi, pour les hommes, des taux supérieurs de plus de 50 % à la moyenne nationale sont enregistrés dans les départements du Nord, de la Meuse et du Pas-de-Calais. Si, au niveau européen, "toutes les régions françaises sont en situation de surmortalité, le Nord - Pas-de-Calais se distingue par un risque de décès "évitable" extrêmement fort au sein de l'Europe". Bien que les conduites à risque, tabagisme ou alcoolisme, "apparaissent déterminantes", d'autres facteurs expliquent ces spécificités : offre de soins (les densités médicales sont plus faibles dans le nord de la France), déterminants sociaux (conditions de vie, niveau d'instruction), risque professionnel (exposition à l'amiante) mais aussi habitudes nutritionnelles.

482 000 ANNÉES DE VIE PERDUES

Parce qu'il s'agit de la première cause de mortalité prématurée en France (36 % chez l'homme, 44 % chez la femme), les cancers font l'objet d'une étude particulière de l'Institut de veille sanitaire. En analysant les données de mortalité entre 1980 et 1999, les épidémiologistes soulignent que cette maladie est responsable de 42 000 morts par an avant 65 ans et de plus de 482 000 années potentielles de vie perdues. Ces années perdues sont "essentiellement dues aux cancers du poumon et des voies respiratoires chez l'homme et du sein chez la femme".

La France occupe le premier rang européen pour la mortalité prématurée par cancer. Si la situation est moins préoccupante chez les femmes, les experts s'inquiètent néanmoins "de l'augmentation importante des décès prématurés par cancer du poumon", liée à une hausse du tabagisme féminin.

Pour le cancer aussi, un "gradient Nord-Sud"est mis en évidence, notamment pour les cancers liés au mode de vie (alcool, tabac, alimentation), mais aussi à l'accès au dépistage et aux soins des personnes défavorisées (col utérin, sein). C'est pourquoi les chercheurs estiment qu'il faut non seulement "faire évoluer les comportements individuels" mais aussi "renforcer les efforts de prise en charge de ces pathologies, notamment dans le nord du pays".

Considérant que les mauvais chiffres de la mortalité prématurée en France sont la conséquence "de pratiques de santé à risque et d'un retard dans le domaine de la prévention primaire", les épidémiologistes demandent que la lutte contre ces morts "évitables" devienne "une priorité de santé publique".

Sandrine Blanchard

 

 

Les urgentistes dénoncent la fermeture de 25 % à 30 % des lits cet été

Comme tous les étés à l'hôpital, les urgentistes voient se profiler les difficultés dans ces services qui accueillent chaque année 13 millions de personnes. Lors d'une conférence tenue lundi 28 juillet, Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (Amuhf), a mis en garde contre une situation "dangereuse" et "extrêmement tendue", "aussi catastrophique que l'an dernier".

Le manque de "lits d'aval", susceptibles d'accueillir les patients vus aux urgences et qui doivent être hospitalisés, s'accroît de façon telle que "la qualité des soins est remise en cause", estime le Dr Pelloux. Dans la pratique, selon l'Amuhf, "nous atteignons les 25 % à 30 % de fermetures de lits".

Au ministère de la santé, le son de cloche est différent. "Globalement, les fermetures seront cet été moins importantes que l'an dernier. Par ailleurs, les zones touristiques conservent en général un taux d'ouverture élevé, indique un communiqué publié lundi 28 juillet. Alors que dans l'ensemble les fermetures de lits avaient été en moyenne de 15 % au cours de l'été 2002 (identique à 2001), les fermetures pour cet été oscilleront entre 8 % et 11,6 % (le maximum étant atteint au cours de la deuxième semaine d'août)."

"Il s'agit de prévisions, rétorque le Dr Pelloux. Elles ne tiennent pas compte des arrêts de travail, des fermetures pour travaux." L'été est en effet toujours une période difficile en raison des congés d'une partie du personnel, qui n'est pas remplacée. Ces absences s'ajoutent aux difficultés d'organisations liées à l'application de l'accord sur les 35 heures.

Les Pays de la Loire (16,4 %), le Languedoc-Roussillon (14 %) et l'Auvergne (entre 15 % à 25 %) seront les régions les plus touchées par ces fermetures, selon le ministère. En Ile-de-France, le taux devrait être de 20 % dans les établissements de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et de 28 % en dehors.

"RENFORTS DIMINUÉS DE MOITIÉ"

Le président de l'Amuhf a relaté les témoignages de délégués de son syndicat. "Les patients sont stockés pendant des heures avec un personnel insuffisant pour gérer cette présence imprévue", rapporte pour Avignon (Vaucluse) le délégué de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Celui d'Aquitaine, Arnaud Boudousse, évoque la fermeture de lits en neurologie et en rééducation fonctionnelle au CHU de Bordeaux (Gironde), qui empêche de "prendre les transferts de la périphérie sachant que tous sont saturés et n'ont pas tous la chance d'avoir un service de neurologie. La prise en charge des accidents vasculaires cérébraux en prend un coup quand on connaît le bénéfice d'une prise en charge spécialisée sur la récupération des déficits et la prévention des complications."

A Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) et dans les communes voisines, où la population est multipliée par quatre ou cinq en été, "nous n'avons toujours pas d'unité d'hospitalisation de courte durée, indique le témoignage du Dr Boudousse. Les renforts d'été sont diminués de moitié par rapport à il y a deux ans. Le SMUR de Saint-Jean-de-Luz a disparu, remplacé par un renfort à Bayonne, de jour seulement alors qu'il était de vingt-quatre heures à Saint-Jean..."

Les difficultés dénoncées par l'Amuhf ne se limitent pas aux services d'accueil des urgences. "Dans le "93", s'indigne le docteur Pelloux, le manque de lits fait que des malades restent plusieurs heures dans le camion du SAMU en attendant un lit en réanimation. Nous avions mis en garde sur ces tensions qui étaient prévisibles. La circulaire du ministère de la santé de mai, qui demandait aux agences régionales de l'hospitalisation et aux hôpitaux d'anticiper ces fermetures, est restée quasiment sans effets."

L'Amuhf considère que "ces périodes de fermeture de lits servent à contenir les déficits financiers des hôpitaux" en permettant "de ne pas embaucher, de ne pas réorganiser les hôpitaux publics, et donc de diminuer l'offre de soins. Nous demandons que les fermetures de lits soient faites en fonction des besoins des malades et non pas en fonction des besoins budgétaires des hôpitaux".

La direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins fait valoir que, de 1999 à 2002, 157 millions d'euros ont été consacrés aux structures d'urgence. Un " effort considérable", que l'Amuhf relativise en soulignant qu'" on partait souvent de zéro".

Paul Benkimoun

Les impasses du "déremboursement" des médicaments

LE ministre de la santé, Jean-François Mattei, peut bien décider le déremboursement de médicaments jugés "insuffisants", "inutiles"ou "dangereux", cela n'aura que peu d'incidences sur les comptes de l'assurance-maladie, et surtout cela témoigne d'une méconnaissance des marchés des médicaments, des comportements des malades et des stratégies des entreprises pharmaceutiques.

Le constat n'est pas nouveau : dès la fin des années 1940, les responsables des organismes de sécurité sociale se sont aperçu que la consommation de soins n'est jamais totalement satisfaite. L'innovation thérapeutique joue en effet un rôle complexe : elle permet de répondre à des impuissances thérapeutiques, mais elle en suscite d'autres (traitement des maladies de dégénérescence, traitements destinés à améliorer le confort de vie des malades chroniques, etc.). C'est sans nul doute la rançon du progrès scientifique et technique, mais tant que cette logique ne sera pas admise il n'y aura pas de mesures d'économies possibles en termes de santé.

Dans le cas du médicament, il convient d'admettre qu'il s'agit d'abord d'un marché, même si la règle de la prescription par un médecin et celle de la prise en charge par des organismes collectifs laissent penser que ne peut pas se créer un équilibre entre l'offre et la demande, même si le caractère aléatoire de la maladie n'autorise pas en théorie des prévisions.

En tout état de cause, c'est en termes de marché que raisonnent les entreprises pharmaceutiques dans la définition de leurs principaux axes de recherche, dans l'organisation de leurs activités : produits grand public, génériques et molécules blockbusters sont autant de segments de marché.

C'est aussi cette logique qui semble s'affirmer quand les multinationales apportent leur appui à la décision de mieux rembourser les produits les plus innovants. Il en va de même pour les pressions exercées auprès des instances européennes pour libéraliser la publicité auprès du grand public dans le cas de maladies chroniques comme l'asthme ou le diabète.

Les malades ne sont pas insensibles à ces logiques de marché. Ils restent attirés par la nouveauté d'un traitement, ou, si un médicament n'est plus remboursé, ils exigeront de le remplacer par un autre, ce qui d'un point de vue médical n'est pas nécessairement satisfaisant. Ces comportements dessinent les limites des décisions de déremboursement, dans la mesure où elles n'empêchent pas de recourir à des substitutions.

Une autre dérive, aussi inquiétante, est la médicalisation à outrance de ce qui n'est pas à priori une maladie, autrement dit la confusion croissante entre différents traitements : ceux qui sont censés apporter la guérison, ceux qui accompagnent une maladie chronique, ceux qui améliorent un confort de vie. Cette diversification de l'offre est aussi le résultat des opportunités offertes par les innovations thérapeutiques. L'évaluation des médicaments en fonction du "service médical rendu" ou de leur caractère innovant révèle d'ailleurs une prise de conscience de la variété de l'offre thérapeutique.

Toutefois, l'élaboration de ces critères d'évaluation présente des inconvénients multiples. La décision du Conseil d'Etat en faveur du laboratoire Servier en montre les limites : c'est sur la forme - des avis insuffisamment motivés - et non sur le fond - l'intérêt pour la santé des traitements vasodilatateurs - que la décision est prise.

En outre, les laboratoires visés par la décision de déremboursement s'efforcent de modifier la présentation de leurs produits afin d'échapper à l'exclusion. Cette stratégie n'est pas nouvelle : face aux décisions prises par les pouvoirs publics en matière de médicament, par exemple de prix, les laboratoires français ont plutôt adopté des positions défensives, s'efforçant de préserver des acquis, et non offensives, qui auraient été de promouvoir des innovations thérapeutiques, et sans nul doute au prix d'une réorganisation et d'une concentration de ces entreprises.

Ainsi, les difficultés actuelles de ces entreprises sont autant l'effet des choix des pouvoirs publics, notamment le maintien de prix très bas jusque dans les années 1980, que le résultat des décisions des responsables de ces entreprises, jaloux de leur indépendance, même si celle-ci ne leur donnait pas les moyens de rivaliser avec les grands laboratoires.

En outre, les incitations des pouvoirs publics en matière de recherche ou de recomposition du secteur ont longtemps fait défaut pour de multiples raisons : le marché français est resté protégé par des barrières non tarifaires jusque dans les années 1970, la prise en charge des dépenses des malades par la Sécurité sociale était considérée comme une forme d'aide indirecte aux entreprises dans la mesure où elle leur garantissait un marché solvable.

C'est à la lumière des différentes mesures prises par les pouvoirs publics depuis la Libération en matière de sécurité sociale, mais aussi de politique de la pharmacie et du médicament, et de l'évolution des structures de l'industrie pharmaceutique en France qu'il convient de réfléchir aux décisions actuellement mises en œuvre.

Tout d'abord, les décisions de remboursement s'inscrivent dans une continuité remarquable avec les politiques de prix, de listes de spécialités admises au remboursement par la Sécurité sociale, relevant pour l'essentiel de logiques strictement comptables, à savoir l'équilibre des comptes de l'assurance-maladie. Or la consommation de médicaments et leur prescription ne se soumettent guère à de telles règles, et ces dernières sont aussitôt contournées.

Ensuite, les entreprises du secteur sont loin de pouvoir toutes s'adapter à de telles décisions sans compromettre leur avenir. Les grands laboratoires pharmaceutiques peuvent ainsi jouer sur des segments de marché très divers : en fonction des classes thérapeutiques sur lesquelles ils sont positionnés, en fonction des types de produits (grand public, génériques, nouvelles molécules) qu'ils commercialisent, en fonction de la diversité des règles sur les marchés nationaux où ils sont installés.

De tels équilibres sont impossibles à réaliser pour les laboratoires français indépendants, dont le seul recours est d'obtenir, par des moyens de pression divers, des dérogations à la règle, ce dont témoigne la décision prise par le Conseil d'Etat en faveur de Servier. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il faut renoncer à des décisions de déremboursement. Mais il faut aussi accompagner de telles décisions par des mesures plus ambitieuses.

Il convient ainsi de promouvoir une information, sinon une éducation, à la consommation de médicaments en direction tant des médecins que des malades, et ce à tous les âges de la vie. Il convient aussi de veiller aux pressions que ne manquent pas d'exercer les laboratoires pharmaceutiques pour médicaliser des troubles ou des états qui ne sont pas à proprement parler des maladies (problèmes sexuels, vieillissement), et de réfléchir à une charte de bonne conduite à laquelle adhéreraient les entreprises, comme elles se soumettent déjà à des règles de "bonnes pratiques".

Il faut aussi que les pouvoirs publics affirment plus clairement leurs intentions quant à l'avenir de l'industrie pharmaceutique en France. Les atermoiements en faveur des laboratoires français indépendants montrent que l'on ne souhaite pas leur disparition, et c'est heureux. Mais les solutions proposées doivent aller au-delà de jeux de lobbying. La survie de ces entreprises est plus que jamais nécessaire pour ne pas accroître les contradictions des mesures prises en matière de prix et de remboursement des médicaments.

Ce serait en effet quelque peu périlleux que de prétendre maîtriser des dépenses de médicaments et l'organisation d'un marché national, alors que celui-ci serait tout entier soumis aux stratégies de recherche (et donc de choix de cibles thérapeutiques) et de vente de groupes pharmaceutiques mondiaux.

par Sophie Chauveau

sophie chauveau est maître de conférences en histoire contemporaine à l'université lyon-ii.

 

Vers une médicalisation raisonnée de la maternité ?

"la grossesse et l'accouchement se trouvent désormais enfermés dans le pathologique. Vouloir assurer la qualité de la naissance en ne misant que sur un aspect médicalisé va à l'encontre de ce qu'est la maternité." L'auteur de cette citation - qui pourrait sortir tout droit d'un manifeste de sages-femmes - n'est autre que le ministre de la santé, Jean-François Mattei.

Dans un ouvrage intitulé Santé sociale : ces absurdités qui nous entourent(éd. Anne Carrière), le professeur de pédiatrie, alors député, dénonçait en 2001 la politique périnatale, qui, "dans un souci de rentabilité", pousse les jeunes mères vers la sortie trois jours après leur accouchement et organise la surveillance de la femme enceinte "dans une logique médicale comme si la grossesse était une maladie".

Devenu ministre de la santé, Jean-François Mattei a-t-il oublié ce qu'il a écrit ? Sans attendre les conclusions de la mission périnatalité, qui devraient lui être remises courant septembre, ni celles des premiers états généraux de la naissance, qui se sont tenus début juin, le ministre a annoncé dès mars un "plan de soutien" à la périnatalité basé sur le regroupement des naissances autour de grands plateaux techniques et la création de maisons périnatales où les mères et leurs bébés seraient transférés au lendemain de l'accouchement.

Non seulement le tempo choisi est difficile à comprendre, et a légitimement heurté une partie des professionnels de santé, mais, de surcroît, les mesures retenues ne répondent pas aux griefs d'"hypermédicalisation" et de "déshumanisation"de la prise en charge de la naissance en France.

C'est sous la pression de la Fédération des cercles d'études des gynécologues obstétriciens - qui brandissait la menace d'une démission des chefs de service de maternités publiques si le ministère n'engageait pas une politique de restructuration massive pour faire face à la pénurie de personnels - que M. Mattei a acté un plan de regroupement afin de "préserver la sécurité" des patientes. Mais, le passé récent l'a montré, les fermetures d'établissements ne permettent pas systématiquement de récupérer les professionnels. Quant à la création de maisons périnatales, elle a été vécue comme une manière de "faire passer la pilule" de la disparition des petites maternités, et personne n'a vraiment compris comment allait s'organiser le transfert des femmes et des bébés.

Surtout, lors de ces annonces ministérielles, seul le point de vue des gynécologues obstétriciens a été entendu. Les sages-femmes, actrices essentielles de la naissance, ont été mises devant le fait accompli. Tout s'est déroulé dans l'urgence et sur la base d'un modèle unique de centralisation des moyens, sans qu'une réflexion soit engagée sur le sens du mot "sécurité" quand on parle de maternité et sur l'attente des femmes.

Sur le constat, professionnels de la naissance et pouvoirs publics sont unanimes : la périnatalité est en crise. Déficit de personnels renforcé par l'application des 35 heures et par la reprise de la natalité, signes de régression dans les résultats périnataux (taux de prématurité en hausse, grossesses multiples et césariennes en progression régulière, mortalité maternelle par hémorragie de la délivrance anormalement stable, disparités régionales dans la prise en charge des grossesses à risque), impossibilité d'appliquer les décrets périnataux de 1998 (qui fixent les taux d'encadrement médical), personne ne remet en question la nécessité de revoir l'organisation de la périnatalité française.

PHYSIOLOGIQUE OU PATHOLOGIQUE

Mais les états généraux de la naissance ont clairement montré que le "plan Mattei" essuyait de nombreuses critiques. Ils ont aussi permis d'entendre - enfin - le point de vue des usagers, des sages-femmes et de médecins qui ont osé, comme l'a fait Bernard Maria, gynécologue obstétricien au centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges, dénoncer "les corporatistes qui figent le système".

Interpellant ses confrères sur la nécessité de mener "une évaluation des pratiques et des techniques obstétricales", M. Maria a regretté que, pour la femme, "accoucher simplement, sans contraintes techniques, accompagnée par une sage-femme, semble être, en France, une idée incongrue". Il a rappelé, avec insistance, que "la sécurité de la naissance doit inclure les aspects psychologiques, relationnels et émotionnels de la naissance".

"Nous sommes entourés de pays où l'accouchement est physiologique, jusqu'à preuve du contraire. Chez nous, il est pathologique, jusqu'à preuve du contraire", a résumé Michka Naiditch, médecin-chercheur, spécialiste en santé publique. Bien que 80 % des grossesses et des accouchements soient normaux, leur médicalisation systématique transforme la naissance en quasi-maladie et s'opère au détriment de l'accompagnement humain (préparation à l'accouchement, suivi postnatal pour, par exemple, aider à l'allaitement).

"Abusive, contraignante et coûteuse, la médicalisation est parfois directement pathogène", insistent les associations et syndicats de sages-femmes, qui réclament une véritable autonomie dans le suivi des grossesses et des accouchements à bas risque.

Plutôt que regrouper les naissances dans ce que certains appellent des "usines à bébés", pourquoi ne pas développer d'autres types de lieux d'accouchements tels que des maisons de naissance gérées par des sages-femmes ? L'idée n'est pas nouvelle, et plusieurs pays européens la pratiquent avec succès.

Promises par l'ancien ministre délégué à la santé Bernard Kouchner, ces maisons de naissance se heurtent à la résistance du pouvoir médical. La crise démographique des gynécologues obstétriciens aura peut-être raison de cette opposition. A chacun son rôle, prônent certains professionnels : aux sages-femmes les grossesses normales, aux gynécologues obstétriciens les grossesses pathologiques, l'aide médicale à la procréation et la chirurgie.

D'ailleurs, quelques jours après les états généraux, auxquels il ne s'était pas rendu, M. Mattei a tenté de désamorcer la grogne des blouses roses. Sans pour autant remettre en question son plan de restructuration, le ministre leur a promis "d'expérimenter la constitution, au sein des maternités, de pôles d'accouchements physiologiques gérés par les sages-femmes" et d'accorder à leur métier "une meilleure reconnaissance".

Michka Naiditch n'en démord pas. "Plutôt que de fermer les petites maternités, ne serait-il pas temps de tirer les conséquences d'une évidence oubliée : toute grossesse est a priori physiologique." Si les progrès de la médecine ont largement contribué à l'amélioration de la sécurité périnatale, la crise actuelle de la périnatalité ne pourrait-elle pas être l'occasion de réfléchir, comme le réclament Myriam Szejer, pédopsychiatre, et Francine Dauphin, sage-femme, à "une médicalisation raisonnée de la maternité" ?

Sandrine Blanchard

 

Guillaume Depardieu en révolte contre les maladies de l'hôpital

Après un accident de moto et dix-sept opérations, l'acteur a contracté une infection nosocomiale qui a nécessité l'amputation d'une jambe. Il dénonce le "mensonge" des médecins et veut créer une fondation pour aider les victimes

témoignage "J'irai jusqu'à la mort. Ils ont bousillé ma vie, je vais leur pourrir la leur"

Il souhaiterait que l'article s'intitule "Utopie". Utopie d'un monde "sans mensonge", "sans hypocrisie" où chacun "se battrait pour ses idées". Utopie d'une société qui ne serait pas "fondée sur l'apparence" mais sur le respect des différences et où "l'argent ne régnerait pas en maître". Si Guillaume Depardieu parle d'utopie, c'est que ce qu'il vit depuis sept ans le renvoie à tout ce qu'il exècre.

Sa révolte est à la hauteur de son drame. L'acteur, César du meilleur espoir masculin en 1996, s'est fait amputer de la jambe droite le 6 juin pour mettre fin à "une douleur insupportable liée à une infection nosocomiale". "Concentrez-vous sur l'intérieur de votre genou et imaginez qu'à chaque fois que vous faites un pas, vous poussez un cri", tente-t-il de décrire.

Depuis son amputation, il partage ses journées entre un centre de rééducation et sa maison de la banlieue parisienne, entouré d'amis. Désormais, "la douleur est partie à 80 %, il me reste des douleurs fantômes, mais c'est quasiment le paradis par rapport à ce que j'ai vécu".

Tentant de maîtriser sa nouvelle jambe, Guillaume Depardieu, 32 ans, père d'une fille de 2 ans et demi, parle de sa "vie brisée". "J'avais des projets, je n'en ai plus. J'ai perdu ma femme, mon boulot, je ne peux plus exercer mon métier, je ne souhaite pas à mon pire ennemi de se lever un matin à ma place." Une paire de béquilles reste à portée de main, le déverrouillage de son faux genou le fait parfois chuter, mais il parvient déjà à se tenir debout grâce à la plus chère des prothèses et à sa "colère", sa "force" morale qui, dit-il avec tendresse, "vient de ma mère". "J'ai la chance d'être aimé des miens."

Sa longue et complexe histoire médicale débute par un accident de moto en 1995. Du toit de la voiture qui le précède sur la route, une valise mal attachée tombe et le fait chuter. Victime d'une grave fracture ouverte avec destruction du genou, il va subir au fil des ans pas moins de dix-sept interventions dans plusieurs établissements de la région parisienne. "Dans un premier temps, la fracture a guéri, j'ai eu un moment de répit, puis les médecins m'ont dit qu'il fallait reconstruire le genou, ils ont voulu faire du zèle. C'est à partir de là que tout est parti en vrille. J'ai l'impression d'avoir été un cobaye."

"L'ARGENT ! L'ARGENT !"

Un chirurgien lui met en place une prothèse totale du genou, mais, quelque temps après, il est victime d'une première infection. Réopéré, il en contracte une seconde, un staphylocoque doré résistant à tout traitement. "Cette infection s'est déclenchée sans que je sache pourquoi. Les médecins ne me donnaient aucune réponse. J'étais dans l'univers du secret. Alors j'ai fouillé, il a fallu du temps pour comprendre. J'ai le défaut de la curiosité et la folie de penser qu'il y a une cause à tout. C'est par des fuites que j'ai su qu'il s'agissait d'une infection nosocomiale." Un terme trop "pudique" à ses yeux et qu'il préfère remplacer par "maladie d'hôpital".

Il était "bourré" de morphine et d'antibiotiques qui lui ont "bousillé l'estomac" et "fait vomir du sang". Plus aucun médicament ne parvenait à atténuer sa souffrance. "Il n'y avait pas de remèdes. Lorsque je disais aux médecins que j'avais mal, ils me répondaient : arthrodèse ou amputation. Arthrodèse, cela signifiait une jambe totalement raide, plus courte que l'autre et un dos bousillé dans quelques années."

Il s'est sauvé de l'hôpital "par la fenêtre, au vrai sens du terme" et a trouvé un chirurgien qui a accepté de l'amputer, ultime solution pour mettre fin à sa souffrance. "Je suis tombé sur quelqu'un de bien, qui m'a écouté, cela m'a un peu réconcilié avec le monde médical."

C'est le "mensonge" qu'il n'a pas supporté et qui l'obsède. "Jamais un médecin ne m'a dit la vérité, on est dans l'hypocrisie, le non-dit. Les médecins devraient prendre des cours de psychologie. Ils prennent les gens pour des cons en oubliant que ce sont eux qui vivent le calvaire. J'ai fait une faute dans ma vie : j'ai fait confiance à la médecine."

Il s'emporte, hurle parfois, contre "l'argent ! l'argent !". Cet argent qui lui a permis d'obtenir le "top de la prothèse, non remboursée par la Sécurité sociale" pendant que "l'ouvrier, à qui il arrive la même chose, lui, il crève" et qu'à l'étranger, "les enfants qui sautent sur les mines se retrouvent avec des prothèses moyenâgeuses". Cet argent qui a poussé, se persuade-t-il, "l'industrie pharmaceutique, soutenue par les hommes politiques, à développer à outrance les antibiotiques sans se soucier des problèmes de résistance que cette décision allait entraîner".

Révolté par "ce pays qui m'a menti", il entend "faire appel au droit" et "passer à l'attaque" en septembre. "Mon sort est scellé, je n'ai plus qu'une jambe, mais je souhaite obtenir réparation pour le préjudice professionnel et moral que j'ai subi et attaquer les médecins au nom de tous ceux qui vivent le même calvaire que moi. J'ai rencontré Mattei pour le lui dire." Son avocat va déposer un référé et solliciter une expertise médicale. Ce sera alors à la justice d'établir une éventuelle responsabilité médicale. "J'irai jusqu'à la mort. Ils ont bousillé ma vie, je vais leur pourrir la leur. Je ne lâcherai pas. Je suis aigri mais encore là."

En choisissant, quelques jours avant son amputation, de révéler son histoire et de lancer un appel à témoignages afin de créer une fondation pour lutter contre les infections nosocomiales, Guillaume Depardieu dit avoir "soulevé un scandale qui touche tout un système" et qui lui a valu "des lettres anonymes avec menace de mort".

Les témoignages, eux, ont afflué, bouleversants, racontant parfois des issues fatales et se terminant toujours avec cette même phrase : "Si mon histoire peut vous aider..." Des courriers de ce type, il en a reçus "des cartons". "J'étais dépassé, certains courriers sont à chialer, il y a un vrai désespoir. Avec les infections nosocomiales, les gens ne comprennent pas ce qui leur arrive. Ils sont paumés. Ils n'osent pas demander des explications parce que les médecins les en dissuadent. Je me mets à leur place et je sais que c'est l'univers du secret."

"UN MORT-VIVANT"

En soulevant ce problème de santé publique, il est devenu "un vecteur de confession"et s'est retrouvé à la tête d'un projet à bâtir. "Il faut créer les statuts de l'association, s'en occuper, mais ce n'est pas mon métier, moi je suis un amuseur public." Submergé, il lâche, en retenant ses larmes : "C'était pas ma vie, moi je voulais être sur scène."

Alors il se bat - "Je ne sais faire que cela". Il voudrait faire cesser le non-dit qui pèse sur les infections nosocomiales, il voudrait que tous les amputés de la planète puissent bénéficier, comme lui, de prothèses dignes de ce nom. "Dans mon centre de rééducation, j'ai découvert des choses toutes simples : nous sommes tous fragiles et vulnérables. J'ai été frappé par la simplicité face à la fatalité. C'est cette fatalité que je voudrais éradiquer."

Par la force des choses, Guillaume Depardieu a aussi découvert "le handicap, la non-sociabilité": "Déjà quand t'es pas beau, tu meurs, mais la société ne supporte pas non plus les défauts fonctionnels." "Je suis indigné de nature, c'est ma grande chance. J'ai perdu ma jambe. Maintenant, il faut que j'avance, mais j'ai le sentiment d'être un mort-vivant. Mon vrai problème c'est de rester sur cette terre sans me suicider." A l'image de cette valise mal attachée qui l'a fait tomber de sa moto, il se sent "très très mal attaché à cet univers".

Sandrine Blanchard

Des infections responsables de 4 000 morts par an

Au manque d'hygiène s'ajoute la résistance aux antibiotiques

C'est un sujet qui peut faire froid dans le dos. D'après des enquêtes de prévalence, environ 800 000 patients contractent chaque année en France une infection nosocomiale, c'est-à-dire à l'hôpital. Si ces infections présentent des degrés de gravité très divers - selon l'état médical initial du malade, son âge et la virulence de l'agent infectieux -, certaines peuvent être fatales. Alors que le chiffre de 10 000 décès par an était communément avancé, une étude, réalisée en 2002 par le Centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales (CCLIN) Paris-Nord auprès de 16 hôpitaux volontaires, évalue, pour la première fois, la proportion de décès directement imputable à ce type d'infection.

SENSIBILISER LES PROFESSIONNELS

Analysant 1 945 décès survenus après 48 heures d'hospitalisation, les experts du CCLIN ont estimé que 284 décès étaient imputables à une infection nosocomiale, dont 155 "de manière possible" et 129 "de manière certaine". Parmi ces 129 décès, 55 concernent des patients pour lesquels le pronostic vital "n'était pas engagé". En extrapolant ces chiffres à l'échelle nationale, les experts du CCLIN estiment que les infections nosocomiales "contribuent directement de façon certaine" au décès d'environ 4 000 patients chaque année en France. "Ce chiffre reste considérable", souligne le professeur Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire (InVS).

Une politique de lutte est menée depuis plus dix ans par le ministère de la santé. Au cours des années 1990, différentes structures ont vu le jour : des comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN), chargés d'organiser la surveillance, la prévention et la formation des personnels médicaux, ont été créés dans les établissements publics de santé (depuis 1998 dans les cliniques privées) ainsi que des centres de coordination interrégionaux (CCLIN) et un Comité technique national (CTIN). Objectif : sensibiliser les professionnels au problème et, surtout, diffuser des recommandations de bonnes pratiques d'hygiène.

Si le risque zéro en matière de transmission de ces infections n'existe pas, il est, en revanche, possible de limiter leur fréquence et leur gravité en respectant une série de précautions : lavage des mains du personnel soignant avant et après chaque soin, désinfection de la peau du patient avant tout geste invasif (perfusion, opération), stérilisation du matériel, développement de l'utilisation de matériel à usage unique (pour les biopsie et endoscopie), isolement des patients atteints de maladies contagieuses, etc.

"Les médecins hygiénistes sont davantage écoutés qu'auparavant", estime Dominique Martin, directeur de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam). Un avis que ne partage pas Alain-Michel Ceretti, président d'une association d'usagers victimes d'infections nosocomiales, le Lien. "Le système est tellement castrateur que les initiatives positives sont tuées dans l'œuf. Un professionnel qui a envie de bien faire est considéré comme un emmerdeur", résume-t-il.

Selon les études menées, les infections les plus fréquentes concernent celles de l'appareil urinaire (36 %, liées à la pose d'une sonde urinaire), des voies respiratoires (21 %, ventilation assistée), des infections postopératoires (11 %, intervention chirurgicale) et du système sanguin (6 %, pose d'un cathéter). Parce que les infections nosocomiales touchent davantage les patients les plus fragiles, les services hospitaliers les plus concernés sont ceux qui accueillent les malades les plus gravement atteints : réanimation, cancérologie, chirurgie...

PRÉOCCUPATION NATIONALE

Avec, globalement 7 % de patients hospitaliers présentant une infection nosocomiale, la France se situe dans la moyenne européenne. En revanche, elle demeure la plus mal placée en matière d'antibiorésistance. "Nous n'avons pas plus d'infections qu'ailleurs mais plus d'infections à germes résistants", résume Gilles Brücker. Alors que le staphylocoque doré est l'un des germes les plus fréquemment identifiés lors d'une infection nosocomiale, ce dernier est résistant à la méthicilline (traitement antibiotique de référence). Pourquoi ? "Les médecins recourent trop systématiquement aux antibiotiques à large spectre", explique le directeur de l'InVS. "On a trop fonctionné dans une démarche très individuelle du soin au lieu de réfléchir à une démarche collective. On a trop longtemps privilégié l'antibiotique plutôt que l'hygiène hospitalière."

Le problème de la résistance aux antibiotiques va "nécessiter des efforts considérables", reconnaît M. Brücker. "Tant que la lutte contre les infections nosocomiales faisait porter le chapeau aux infirmières qui ne se lavaient pas assez les mains, les médecins ne se sentaient pas concernés. Maintenant que l'on touche au symbole médical, c'est-à-dire à la prescription, les choses sont beaucoup plus difficiles." Mais, insiste-t-il, "le problème posé par les phénomènes de résistance aux antibiotiques est devenu une préoccupation nationale".

S. Bl

L'office d'indemnisation permettra de repérer les établissements à risque

Le tout nouvel office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) pourrait devenir un "bon observatoire" des infections nosocomiales en France. C'est en tout cas ce que souhaite Alain-Michel Ceretti, président du Lien, association d'usagers victimes de ces infections. "Quand plusieurs dossiers arriveront concernant le même établissement, le même germe, on pourra pointer les "moutons noirs" qui se cachent derrière la masse des chiffres nationaux", espère-t-il.

Prévu par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, le dispositif d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux, d'affections iatrogènes et d'infections nosocomiales est opérationnel depuis quelques mois (Le Monde du 9 juin). Environ mille dossiers sont déjà en cours de traitement auprès des commissions régionales de conciliation chargées d'instruire les demandes et de proposer une indemnisation, le tout dans un délai de moins d'un an.

BARÈME FIXÉ DÉBUT 2004

"Rien que sur l'Ile-de-France, les infections nosocomiales représentent plus du tiers des dossiers", indique Dominique Martin, directeur de l'Oniam. D'ici au début 2004, un premier rapport devrait être publié. "Il s'agira d'une étude qualitative, une source de données quasi nominatives sur les établissements de santé concernés", promet M. Martin. "Néanmoins, cette fonction d'observatoire ne suffira pas à couvrir l'ensemble du problème, car les infections nosocomiales peu graves nous échappent", précise-t-il.

En effet, les dossiers sont acceptés selon le seuil de gravité du dommage : pour qu'un accident médical donne lieu à une indemnisation, il doit avoir entraîné une incapacité permanente partielle supérieure à 24 %, un arrêt de travail d'au moins six mois ou des conséquences graves (un violoniste qui perd un doigt, par exemple).

Pour l'instant, l'Oniam a du mal à mesurer le nombre d'affaires qu'il aura à traiter chaque année. "Nous verrons en marchant, mais le principe d'un dispositif rapide et gratuit devrait avoir un effet d'appel pour les personnes qui renonçaient à engager une action devant la justice", prévoit M. Martin. Le barème des indemnisations devrait être disponible début 2004. En attendant que les négociations entre le ministère de la santé et celui de l'économie aboutissent, 140 millions d'euros ont été provisionnés, et les premières décisions de l'Oniam devraient s'inspirer de la jurisprudence actuelle. "Il est exclu de faire des économies sur ce sujet", a promis, il y a quelques semaines, le ministre de la santé, Jean-François Mattei, qui considère que ce dispositif "comble une lacune de notre système de santé".

Au-delà d'un espoir d'indemnisation, "beaucoup de personnes vont devant l'Oniam pour comprendre ce qui s'est passé dans leur parcours médical", constate M. Ceretti. "Depuis la loi de mars 2002, les usagers connaissent mieux leurs droits et ont compris que derrière le mot "nosocomial" il y avait celui de responsabilité", assure-t-il. posent des questions. Ils sont peu revendicatifs tant qu'ils sont malades à l'hôpital mais quand ils sortent ils le deviennent", ajoute M. Ceretti.

Regrettant que "l'Etat reste frileux sur la question des indicateurs de qualité des établissements de santé qui permettraient au grand public de faire son choix", le président du Lien réclame "davantage de transparence".

S. Bl.

 

Gerhard Schröder fait accepter la réforme du système de santé

Après quatre semaines de négociations, sociaux-démocrates et conservateurs ont signé un accord historique sur un profond bouleversement de l'assurance-maladie en Allemagne. Le plan prévoit 9,9 milliards d'euros d'économies l'année prochaine et, d'ici à 2007, quelque 23 milliards

Le gouvernement allemand et l'opposition conservatrice se sont mis d'accord, lundi 21 juillet, sur une vaste refonte du système de santé. Gerhard Schröder fait ainsi accepter l'une des réformes PRIORITAIRES de son nouveau mandat. L'accord trouvé avec la droite vise à réaliser près de 10 milliards d'euros d'économies en 2004, et plus de 23 milliards d'ici à 2007. Opposition et gouvernement se sont FÉLICITÉS de cet accord, jugé historique. "Ce compromis assure la qualité des soins et, en même temps, casse des STRUCTURES ENCROÛTÉES", a commenté la ministre de la santé, Ulla Schmidt. La réforme prévoit une forte BAISSE DES REMBOURSEMENTS de médicaments, la réduction ou la suppression de certaines prestations, des contributions nouvelles des assurés et une augmentation des recettes par une hausse sur le tabac.

Berlin de notre correspondant

Gerhard Schröder est un rescapé. Au printemps 2002, on le disait perdu. Six mois plus tard, sa coalition rouge-verte gagnait les élections générales. Durant l'hiver 2002-2003, le Parti social-démocrate (SPD) du chancelier était sévèrement étrillé aux élections régionales de Basse-Saxe et de Hesse. Quelques mois ont passé, les sondages prédisent toujours que, si l'on votait demain, l'opposition chrétienne-démocrate gagnerait haut la main. Mais jamais Gerhard Schröder n'a paru mieux installé.

La réforme du système de santé, dont le chancelier avait fait l'une de ses priorités, et que majorité et opposition viennent de contresigner, confortera encore sa position. L'accord a été paraphé dans la nuit du 20 au 21 juillet. Il a nécessité quatre semaines de négociations menées par la ministre SPD de la santé, Ulla Schmidt et, au nom de l'opposition, par le vice-président des chrétiens-sociaux bavarois, Horst Seehofer, lui-même ancien ministre de la santé sous Helmut Kohl.

Lundi matin, chacune des parties a estimé que le compromis atteint était "équilibré" et permettrait de sauvegarder l'essentiel, à savoir la qualité des soins, tout en allégeant le fardeau financier qui menaçait de faire s'écrouler l'ensemble du système de santé. "C'est un compromis qui assure la qualité des soins et, en même temps, casse des structures encroûtées", a commenté Ulla Schmidt.

Les coûts croissants - 142 milliards d'euros pour l'année 2002 - et les déficits - près de 3 milliards d'euros en 2002 - des caisses publiques d'assurance-maladie, où sont inscrits 90 % des Allemands, rendaient inévitable une réforme. Le texte approuvé lundi par les parties devrait, espèrent ses promoteurs, faire économiser, dès l'année prochaine, 9,9 milliards d'euros et, d'ici à 2007, quelque 23 milliards, grâce, notamment, à diverses mesures d'économies, à des transferts de dépenses au détriment des assurés et à la levée d'une nouvelle taxe sur les cigarettes.

BAISSER LES COTISATIONS

La ministre de la santé a de son côté répété que son objectif était de faire baisser les cotisations maladie, qui représentent aujourd'hui 14,3 % du salaire brut, à 13,6 % dès 2004, pour bientôt les faire passer sous la barre des 13 %.

Le projet de loi issu du compromis atteint lundi devrait être soumis au Bundestag en septembre et entrer en application dès le début de 2004. La majorité que détient l'opposition au Bundesrat, Chambre des Etats sans l'approbation de laquelle aucune loi ne peut être votée, rendait obligatoire la collaboration entre majorité et opposition. Cette dernière ne s'y est résignée qu'après de longues hésitations et quelques déchirements internes.

Finalement conscients que l'état d'esprit du pays était du côté de la réforme et non d'une confrontation radicale que les électeurs risquaient de ne pas leur pardonner, chrétiens-démocrates et chrétiens-sociaux ont finalement envoyé négocier Horst Seehofer. Contrairement au discours dominant en vogue parmi les siens, ce dernier s'était personnellement prononcé pour une réforme qui ne se limite pas à une brutale réduction des prestations de santé. Même s'il évite de le crier sur les toits, le chancelier devrait s'estimer particulièrement heureux de cet accord trouvé avec l'opposition.

Plusieurs autres dossiers importants, qu'il s'agisse de la baisse des impôts, de la réorganisation du marché du travail ou de la réforme des retraites, sont actuellement sur le métier, et l'on ne voit pas maintenant au nom de quelle logique, ni au nom de quels intérêts, l'opposition, qui a prêté la main à la réforme du système de santé, pourrait refuser sa collaboration dans d'autres domaines.

Avec la même réactivité qui lui avait permis de flairer la sensibilité de ses compatriotes à l'affaire irakienne, le chancelier a pressenti avant tous les autres, partisans comme adversaires, que la majorité des Allemands, secoués par le vieillissement et les contre-performances économiques (une croissance en panne et un taux de chômage supérieur à 10 % de la population active), étaient mûrs pour des réformes profondes et douloureuses, qu'ils ne pardonneraient pas à ceux qui s'y opposent.

C'est cette réalité qui a permis à Gerhard Schröder de maîtriser l'opposition de la gauche du SPD et des syndicats, dont l'échec, lors de la dernière grève de la métallurgie, est cuisant. C'est désormais à l'opposition chrétienne-démocrate de passer à la caisse. Entraînée dans une collaboration forcée, sans tête de file incontestée capable de faire poids à la personnalité du chancelier, elle n'a d'autre choix, pour l'instant, que de suivre le mouvement.

Georges Marion

Le détail des mesures : être malade coûtera plus cher

Berlin de notre correspondant

Au-delà des mesures spécifiques sur lesquelles majorité et opposition se sont mises d'accord, la réforme du système de santé en Allemagne obéit à une idée simple : être malade coûtera désormais plus cher... au malade. L'augmentation des dépenses individuelles de santé et le rétrécissement de l'éventail des prestations constituent en effet le principe général de cette réforme, qui doit faire économiser 9,9 milliards d'euros dès 2004.

En contrepartie, le gouvernement promet de baisser rapidement les prélèvements obligatoires sur le salaire brut, l'une des mesures qui, espère-t-il, mobilisera du pouvoir d'achat et des possibilités d'investissement susceptibles de faire repartir une économie déprimée et, à terme, de créer de l'emploi.

Les médicaments.

Ceux-ci sont particulièrement visés en raison de leur coût qui ne cesse de peser sur les caisses publiques. Les médicaments achetés sans ordonnance ne seront plus remboursés. Un contrôle de l'efficacité des traitements par un organisme indépendant sera institué et plus de concurrence sera introduite entre les laboratoires, notamment en rendant possible la commande de médicaments par Internet ou par téléphone. Toujours dans le souci d'accroître la concurrence du secteur, la possession de plusieurs pharmacies sera autorisée.

L'industrie pharmaceutique risque de faire les frais de la réduction automatique des remboursements des médicaments. Elle a aussitôt protesté contre ces mesures, affirmant qu'en réduisant ses marges la réforme conduirait inévitablement à des licenciements dans le secteur de la recherche.

Faire payer plus

. Le patient, qui jusqu'ici ne payait rien lors d'une visite médicale, acquittera désormais une partie des honoraires de consultation avec un maximum de 10 euros par acte et un minimum de 5 euros. Un "abonnement" trimestriel de 10 autres euros lui sera demandé pour pouvoir visiter un médecin. 10 euros enfin seront prélevés pour chaque journée d'hospitalisation avec un maximum de 28 jours par an. Ces dépenses individuelles ne pourront toutefois pas excéder 2 % du revenu annuel brut (1 % pour les malades chroniques). Les enfants de moins de 18 ans sont exemptés de ces nouvelles règles.

Réduction des prestations.

Sont désormais supprimés du régime général des remboursements les cures thermales, les transports par taxi ou véhicule de location pour se rendre à l'hôpital, les prothèses dentaires, qui seront couvertes par une assurance volontaire supplémentaire. A terme, il devrait en aller de même pour la lunetterie, sauf pour les enfants de moins de 18 ans. Les inséminations artificielles seront soumises à de nouvelles conditions et seront prises en charge à 50 % par les demandeurs.

Exclusion de prestations.

Les indemnités de congé maladie seront prises en charge par l'assuré et non plus par l'employeur ; les primes de décès sont exclues du régime général. Les frais d'accouchement ne seront plus qu'en partie remboursés.

Nouvelles recettes.

Dès 2004, une augmentation des taxes sur le tabac, d'une hauteur de 1 euro par paquet, sera instituée en trois étapes. Un ensemble de mesures visant à faire du secteur médical un domaine plus concurrentiel susceptible de faire baisser les coûts sont également envisagées.

G. M.

En France, un déficit cumulé de 16 milliards

Le gouvernement français a décidé qu'il n'engagerait pas de grande réforme de l'assurance-maladie à l'automne, comme il l'envisageait il y a quelques mois. Dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale, présentée en octobre au Parlement, il va néanmoins devoir réduire le déficit cumulé 2002-2003 (16 milliards d'euros) et prendre des mesures pour éviter qu'il n'atteigne encore une quinzaine de milliards en 2004. Pour l'heure, Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin refusent d'augmenter la CSG, même si François Fillon, ministre des affaires sociales, estime que "ce n'est pas un sujet tabou" pour 2004. Le ministre de la santé, Jean-François Mattei, a décidé une première mesure : la suppression de 84 médicaments de la liste des produits remboursés, pour une économie de 42 millions.

D'ici à 2005, 650 produits ne seront plus remboursés par la Sécu. Le gouvernement souhaite que les dépenses soient directement gérées par les caisses d'assurance-maladie et que les mutuelles ou les compagnies d'assurances prennent une part croissante dans le remboursement des soins.

"Le vieux modèle est fini", selon la gauche réformiste

Berlin de notre envoyé spécial

"L'Allemagne connaît un changement de mentalité. La social-démocratie s'émancipe de syndicats qui sont dans l'impasse. Elle a une chance d'avoir un avenir." Le professeur Heinrich August-Winkler est catégorique. Cet influent politologue de l'université Humbolt de Berlin, "parfois consulté" par Gerhard Schröder, dresse le tableau d'une nouvelle Allemagne. "Le chancelier a la possibilité de donner une nouvelle direction à sa politique s'il parvient à moderniser l'Etat providence", ajoute-t-il.

Gerhard Schröder a repris l'offensive avec ses projets de réforme contenus dans ce qu'il appelle l'"Agenda 2010", et adoptés le 1er juin par près de 90 % des délégués du Parti social-démocrate (SPD). Depuis, le chancelier dit et répète : "L'Allemagne bouge." Outre la limitation des remboursements des dépenses de santé qui vient de trouver le soutien des conservateurs, les mesures à venir prévoient de réduire les indemnités de chômage de longue durée, d'assouplir le droit de licenciement et de relever l'âge de la retraite.

"62 % du budget va au service de la dette et aux dépenses sociales, argent qui manque aux investissements de demain et à l'avenir de nos enfants", avait alors déclaré le chancelier, assurant que la réforme ne modifierait pas les valeurs sociales-démocrates de justice et d'égalité.

"Depuis ce 1er juin, on ne peut plus faire marche arrière. Le vieux modèle allemand est fini, affirme Tobias Dürr, rédacteur en chef de la revue Berliner Republik, conseiller politique et membre d'un think tank du SPD au Bundestag. La situation économique et sociale du pays est telle que les réponses anciennes ne sont plus adaptées." Les manifestations contre ces réformes ont échoué, rassemblant quelques dizaines de milliers de manifestants. Rien à voir avec ce qui s'est passé en France. Selon divers sondages, 90 % de la population souhaite des réformes et 70 % de manière urgente. "Une rupture psychologique" s'est opérée chez les Allemands, selon M. August-Winkler.

"PLUS D'ÉTAT MAIS AUTREMENT"

"Depuis le milieu des années 1990, une majorité d'Allemands souhaite moins d'Etat et une réforme en profondeur du système social", renchérit Wolfgang Nowak. Cet ancien conseiller du chancelier fut l'artisan, avec Bodo Hombach, du manifeste sur la modernisation de la social-démocratie en Europe, signé en juin 1999 par Gerhard Schröder et le premier ministre britannique, Tony Blair. "Prenez la démographie de notre société vieillissante : elle impose d'élever l'âge du départ à la retraite à 67, voire à 69 ans, pour que la charge de la retraite soit plus équitable pour les plus jeunes."

"Tout cela n'a rien à voir avec la pensée néolibérale", poursuit M. Dürr, qui rejette la ligne "trop économiste"d'un Tony Blair. "Il nous faut certainement plus d'Etat social mais autrement, avec, par exemple, plus de formation pour les jeunes", dit-il. En discussion au sein du gouvernement de la coalition rouge-verte, une réforme modifiant les frais universitaires est envisagée. "Il serait plus juste de faire payer les étudiants après leurs études sous forme d'impôt une fois lancés dans la vie professionnelle", avance M. August-Winkler. Un autre tabou de la social-démocratie serait alors brisé. Reste que, selon M. Dürr, "il faut en appeler à une nouvelle solidarité, à une idée d'un patriotisme social".

"La pression en faveur d'une réforme est considérable, affirme Peter Lösche, professeur de sciences politiques à l'université de Göttingen. C'est tout le système de protection sociale mis en place par Bismarck à la fin du XIXe siècle qu'il faut revoir. Si on ne change rien, il faudra débourser dans dix ans près des deux tiers de notre salaire pour financer les retraites, le système de santé et l'assurance-chômage."

L'opinion publique est-elle disposée à de tels sacrifices ? A Berlin, capitale au bord de la faillite, les syndicats de fonctionnaires ont accepté, au début de juillet, une baisse de 12 % des salaires en échange d'une réduction des horaires hebdomadaires. Reste que les représentants de cette gauche moderniste s'accordent pour dire que les réformes de l'Agenda 2010 ne vont pas assez loin.

Mais ces réformes ne semblent possibles que par la présence des sociaux-démocrates au gouvernement, disent de nombreux observateurs. "Si le SPD était dans l'opposition, l'Allemagne connaîtrait aujourd'hui une grande confrontation", estime Peter Lösche.

Nicolas Bourcier

 

84 médicaments ne seront plus remboursés par la Sécurité sociale, annonce le ministre de la santé<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />

"Leur utilisation n'est médicalement pas souhaitable", explique Jean-François Mattei, qui escompte une économie de 42 millions d'euros. 650 produits ne seront plus pris en charge d'ici 2005

Dans un pays champion du monde de la consommation pharmaceutique, la mesure annoncée, jeudi 17 juillet par le ministre de la santé, est symboliquement spectaculaire. Jean-François Mattei a rendu publique une liste de 84 présentations de médicaments qui ne devraient plus, à très court terme, être remboursés par la Sécurité sociale. En cause : leur service médical rendu (SMR) jugé "insuffisant"par les experts de la commission de la transparence de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).

L'arrêté officialisant cette mesure devrait être publié début août, les laboratoires disposant de huit jours pour faire leurs observations. "La liste ayant été passée au peigne fin depuis plusieurs semaines, il ne devrait plus y avoir de modifications", estime M. Mattei. Davantage qu'une "décision économique", il s'agit surtout, assure le ministre, d'une"œuvre de santé publique". Ces médicaments "n'ont plus leur place dans la stratégie thérapeutique" et leur utilisation"n'est médicalement pas souhaitable". Pour le ministre, "les malades qui ne prendront plus ces produits ne s'en porteront pas plus mal, et probablement même s'en porteront-ils mieux".

Tant par le nombre de médicaments concernés que par l'économie escomptée (42 millions d'euros en année pleine pour la Sécurité sociale), cette première liste s'avère en deçà des ambitions initiales du ministère qui tablait sur une bonne centaine de médicaments et 100 millions d'euros d'économie (Le Monde du 5 juillet). Une prudence qui vise à ménager les laboratoires pharmaceutiques, mais aussi les médecins et les patients, avant les prochaines mesures.

Cette première liste de 84 présentations - le même médicament pouvant se présenter sous plusieurs formes, gélules, comprimés... - n'est, en effet, qu'un début. Quelque 650 médicaments ont été classés par la commission de la transparence dans les SMR insuffisants. D'ici deux ans, tous devraient cesser d'être remboursés.

La deuxième vague, prévue pour juillet 2004, sera la mesure "la plus difficile à prendre", reconnaît M. Mattei. A cette date, quelque 400 spécialités, dont certaines (magnésium, veinotoniques) sont très utilisées, devront sortir du remboursement et relever d'un "choix d'automédication comme c'est le cas dans beaucoup de pays industrialisés". Puis, en juillet 2005, ce sera le tour d'une centaine d'autres "peu efficaces mais, pour l'heure, sans alternative thérapeutique". Le "toilettage" de la pharmacopée française sera alors achevé.

FLUISEDAL ET NÉO-CODION

Pour l'heure, le ministère a joué la transparence en livrant une liste qui détaille pour chaque produit ses indications, l'argumentation de la commission de la transparence et les alternatives possibles. On est loin de la méthode qui a prévalu il y a quelques mois lorsque le ministère publiait au Journal officiel, en plein week-end de Pâques, le nom de 617 médicaments dont le taux de remboursement passait de 65 % à 35 % pour cause de SMR "modéré ou faible" (Le Monde du 29 avril). Il s'agit désormais d'informer le grand public.

"Tout le monde est capable de comprendre,est persuadé M. Mattei, que les moyens thérapeutiques évoluent et que certains ne peuvent plus être remboursés si l'on veut pouvoir prendre en charge les traitements les plus innovants pour tous ceux qui en ont besoin lors des maladies graves." Ainsi, si 84 produits doivent sortir du champ de l'assurance-maladie, d'autres, utiles pour traiter des pathologies lourdes comme le diabète (Lantus), l'Alzheimer (Ebixa) ou l'épilepsie (Keppra) y font leur entrée et pourraient représenter une dépense supplémentaire de 100 millions d'euros par an.

La liste des premiers médicaments "exclus" comporte, notamment, des produits très utilisés dans le traitement de la cataracte (Phakan et les collyres Catacol, Dulciphak et Catarstat) alors qu'ils ne modifient "ni la symptomatologie ni l'évolution" de la maladie pour laquelle "la chirurgie reste la meilleure solution". On trouve également des sirops bien connus comme le Fluisedal ou le Néo-Codion, pour lesquels "l'association d'un antitussif et d'un expectorant est illogique".

"Si des médicaments sont inefficaces ou nocifs ils doivent être retirés du marché et pas seulement déremboursés", a réagi, avec colère, Jean Parrot, président de l'ordre des pharmaciens. "Nous ne saurions, nous médecins, accepter de dire que nous avons prescrit de la poudre de perlimpinpin", proteste de son côté le docteur Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). L'association Droits des patients s'inquiète, quant à elle, de ces "décisions unilatérales du gouvernement qui peuvent conduire à une véritable inégalité sociale devant la maladie". En revanche, la Mutualité française "regrette la portée limitée de cette liste".

Sandrine Blanchard

Comprimés, collyres, sirops... au "service médical rendu"insuffisant

Afebryl, comprimés.

Amicic, collyre.

Biocalyptol, enfant, adulte, suppositoires.

Boroclarine, collyre.

Calcibronat 13,3 %, sirop,

injectable.

Calmixène, sirop.

Catacol 0,1 %, collyre.

Cataridol, collyre.

Catarstat, collyre.

Chauvin antiseptique, pommade.

Coltramyl 4 mg, injectable.

Coquelusédal paracétamol, bébé, adulte, enfant, suppositoires.

Corticotulle, compresses.

Cortisone Roussel 5 mg, comprimés.

Dermo-sulfuryl, pommade.

Dimetane, sirop.

Dinacode, bébé, enfant, adulte, sirop.

Dioparine, collyre.

Diprosone néomycine, comprimés, pommade.

Dulciphak, collyre.

Ephedromel, sirop.

Extranase, comprimés.

Fiboran 50 mg, gélule.

Fluisedal, sirop.

Fongamil 1 %, poudre.

Fortal, injectable.

Galirène, ampoules.

Hexapneumine bébé, enfant, adulte, sirop.

Hydracort 0,5 %, crème dermique.

Hydrocortisone Kerapharm 1 %, comprimés.

Hypnasmine adulte, suppositoires.

Keratyl 1 %, collyre.

Librax, comprimés.

Lucrin 5 mg/ml, injection.

Miorel 4 mg/2 ml, injectable.

Multitest IMC.

Mutesa, suspension buvable.

Nerisone C, crème dermique.

Nisaseptol 1 %, comprimés.

Nisasol.

Néo-Codion, sirop, comprimés.

Norgagil, sachets.

Parfenac 5 %, comprimés.

Phakan, gélules, ampoules.

Povidone iodée Bayer et Merck 10 %, solution vaginale.

Pulmosérum, solution buvable.

Pulmosodyl, adulte, sirop.

Ribomunyl, injectable.

Salipran, poudre.

Sedarène, gélules.

Solacy adulte et pédiatrique, gélules, comprimés.

Spasmodex 10 mg injectable, 10 mg comprimés, 50 mg suppositoires.

Suprefact 100 mcg, inhalation.

Thiocolchicoside Fornet 4 mg, injectable.

Tussisédal, sirop.

Vitamine B12 Allergan, collyre.

Vitamine B12 Thea, collyre.

Vita 3, collyre.

Vitacic, collyre.

M. Mattei annonce le déremboursement d'une centaine de médicaments

L'Assemblée nationale a adopté, mercredi, un amendement gouvernemental destiné à empêcher les recours des laboratoires pharmaceutiques

Le ministre de la santé, Jean-François Mattei, devait rendre publique, jeudi 17 juillet, une première liste de médicaments qui seront totalement déremboursés. Une centaine de produits (sirops contenant de faibles doses d'antibiotique, laxatifs à la bourdaine, etc.) devraient être concernés. Tous ont, selon la commission de la transparence de l'Agence française de sécurité sanitaires des produits de santé (Afssaps), un service médical rendu (SMR) "insuffisant". De nouveaux déremboursements devraient être annoncés en juillet 2004 et juillet 2005. A cette date, plus aucun des 650 médicaments à SMR "insuffisant" ne sera remboursé.

Attendue initialement pour le 1er juillet, la publication de cette liste avait été repoussée en raison des recours engagés avec succès par les laboratoires pharmaceutiques devant le Conseil d'Etat. Cette riposte des industriels a obligé l'Afssaps à motiver plus complètement ses avis (Le Mondedu 5 juillet). Elle a aussi donné lieu, mercredi 16 juillet à l'Assemblée nationale, à un coup de théâtre, avec le vote d'un amendement du gouvernement qui vise à empêcher de nouveaux recours.

ARRÊTÉS "INTOUCHABLES"

Adopté le matin même par les députés de la commission des affaires sociales, l'amendement a été inséré dans le projet de loi sur les activités physiques et sportives et présenté en fin d'après-midi par le ministre des sports, Jean-François Lamour. Des conditions de débat surprenantes mais justifiées, selon le gouvernement, par l'"urgence" du sujet. Le texte "valide" les déremboursements décidés "avant le 1er juillet 2003" et empêche que leur "légalité soit contestée" pour cause d'"irrégularité des avis rendus par la commission de la transparence". En clair, les arrêtés de septembre 2001, décembre 2001 et avril 2003 qui ont fait passer de 65 % à 35 % le taux de remboursement de plusieurs centaines de médicaments deviennent "intouchables", selon le terme employé dans l'entourage du ministre de la santé. Pour défendre son amendement, le gouvernement fait valoir l'"intérêt majeur" de ces baisses "pour l'équilibre des dépenses d'assurance-maladie, l'économie attendue étant d'environ 500 millions d'euros".

Ce nouvel épisode fait suite à la décision prise le 20 juin par le Conseil d'Etat d'annuler le passage de 65 % à 35 % du taux de remboursement de deux vasodilatateurs (Duxil et Trivastal). Saisi par le laboratoire Servier, la haute juridiction a estimé que le classement de ces médicaments en SMR "insuffisant"n'avait pas été suffisamment "motivé" par la commission de la transparence. Huit autres laboratoires ont engagé le même type de procédure et devraient obtenir gain de cause pour une dizaine de produits.

Si l'amendement du gouvernement ne remet pas en cause les premières décisions du Conseil d'Etat, il vise à éviter qu'elles se renouvellent. Les laboratoires avaient gagné une première bataille, le gouvernement tente de remporter la deuxième. Le texte a soulevé l'"indignation" de Bernard Lemoine, vice-président du LEEM (Les Entreprises du médicament).

"Nous voulons éviter le comportement d'opportunité des firmes pharmaceutiques qui ont trouvé une brèche juridique", explique-t-on au cabinet de M. Mattei. Il s'agit surtout de "consolider" et de "sécuriser" la politique engagée par le ministre de la santé qui repose, notamment, sur la modification du niveau de remboursement en fonction du service médical rendu.

Seule l'UMP a voté l'amendement gouvernemental. "Surprise" par la méthode employée -"un amendement à la sauvette sans discussion ni concertation" - l'UDF s'est abstenue même si "sur le fond, nous ne sommes pas opposés au déremboursement, à condition qu'il soit justifié", a expliqué le député François Rochebloine.

"MANŒUVRE PITOYABLE"

La gauche, elle, a voté contre, en fustigeant ce "cavalier législatif", cette "manœuvre pitoyable", comme l'a martelé Christophe Masse (PS). "Vous voulez faire à tout prix des économies sur l'assurance-maladie", a dénoncé Jacques Bruhnes (PCF). "C'est le gouvernement précédent qui avait établi la liste des médicaments suivant leur SMR", a rétorqué François Goulard (UMP), tandis que son collègue Edouard Landrain a ironisé : "Nous volons au secours d'Elisabeth Guigou qui avait mal rédigé sa copie."

C'est en effet sous le gouvernement Jospin, à l'automne 2001, qu'avaient été pris les arrêtés lançant les premières vagues de baisse de taux de remboursement. Ces décisions faisaient suite à la réévaluation de la pharmacopée française, établie par la commission de la transparence à la demande de Martine Aubry, alors ministre de l'emploi et de la solidarité. "Je ne fais que tirer toutes les conséquences de la réévaluation engagée par Martine Aubry", se plaît à expliquer le ministre de la santé.

Sandrine Blanchard

Le gouvernement a renoncé à une réforme globale de la santé

Soulagé d'avoir franchi l'obstacle des retraites, M. Raffarin ne présentera pas de plan complet pour sauvegarder l'assurance-maladie. M. Mattei doit aborder ce chantier par tranches, dans le souci de ne pas attiser les tensions sociales avant les élections du printemps 2004

Le gouvernement s'apprête à procéder "par étapes" à la réforme du système de santé. Le ministre de la santé, jean-françois mattei, l'a confirmé, mercredi 9 juillet, devant le groupe UMP de l'Assemblée. Echaudé par les tensions socialessuscitées par la réforme des retraites, et soucieux de ne pas perturber les échéances électorales de 2004, Jean-Pierre Raffarin ne veut pas réformer "sous la pression de l'urgence". Jacques Chirac avait estimé, le 12 juin, qu'il "faudra plusieurs années pour que la Sécurité sociale retrouve un équilibre durable". Le déficit de l'assurance-maladie dépassait 6 milliards d'euros en 2002 ; il pourrait atteindre 10 milliards à la fin de cette année. Le gouvernement étudie la possibilité de nouveaux "déremboursements" de médicaments ou de franchises de 2 ou 3 euros par feuille de soin.

La grande réforme de la Sécurité sociale n'aura pas lieu. Satisfait d'être parvenu à imposer son plan sur les retraites, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ne s'attaquera pas de front à l'épreuve de l'assurance-maladie, pourtant présentée de longue date comme l'objectif suivant. "Nous procéderons par étapes", a dit le ministre de la santé, Jean-François Mattei, mercredi matin 9 juillet devant le groupe UMP de l'Assemblée nationale. Venant après les déclarations successives de Jacques Chirac, au congrès de la Mutualité française, puis du premier ministre, qui ont tous deux inscrit dans la durée la réforme du système de santé, cette confidence atteste l'intention que le gouvernement s'emploie encore à camoufler - et que certains parlementaires traduisent ainsi : "Il n'y aura pas de "grand soir" pour la "Sécu"."

En réalité, les "étapes" de M. Mattei devraient constituer autant de tranches distinctes dans le vaste chantier du système de santé français. Dans le souci d'éviter de nouvelles tensions sociales, les dossiers de la gestion des hôpitaux, des professions de santé, de la maîtrise des dépenses, de la place des mutuelles et, surtout, du déficit de l'assurance-maladie seraient traités séparément, selon un calendrier étalé, qui permettrait d'enjamber les élections - cantonales et régionales - du printemps 2004.

Certes, le déficit de l'assurance- maladie - 6,1 milliards d'euros fin 2002, 10 milliards d'euros attendus fin 2003 - semble bien imposer l'urgence. Le besoin de financement sur 2002-2003 est comparable à celui des régimes privés de retraite à l'horizon 2020, dans lequel le gouvernement voyait un argument décisif pour exiger la réforme. Encore M. Chirac avait-il prédit, le 12 juin à Toulouse, qu'il faudrait "plusieurs années" pour revenir à un "équilibre durable".

"J'ai conscience de l'urgence, mais je ne veux pas être sous la pression de l'urgence", a toutefois assuré M. Raffarin, en marge de sa visite à Saint-Pétersbourg (Russie), le 29 juin. Il a précisé depuis, dans sa déclaration de politique générale, prononcée devant les députés le 2 juillet, que la rénovation du système de santé s'effectuerait après "toutes les négociations nécessaires avec l'ensemble des partenaires"- utilisant pour la première fois le terme de "négociations", que M. Fillon a toujours exclu, lui, à propos des retraites.

"TOUT LE MONDE À AFFRONTER"

La consigne est visiblement passée. "C'est une urgence différable, pour reprendre un terme médical", relève le président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée - et professeur de médecine -, Jean-Michel Dubernard (UMP, Rhône), précisant, de fait, que "faire quelque chose ne signifie pas faire une réforme de fond d'un coup". Les députés (UMP) François Goulard (Morbihan) et Marc Laffineur (Maine-et-Loire) approuvent : "On ne peut pas régler le problème en une fois par une grande loi."

Au moment où le conflit des intermittents du spectacle perturbe à nouveau le paysage social, gouvernement et majorité se satisfont d'évidence d'un calendrier ralenti. "Nous ne sommes pas obligés d'enchaîner tous les projets sociaux", plaide le député (UMP) de la Drôme Hervé Mariton. Il faudra "affronter tout le monde", professionnels de la santé et usagers - qu'il faudra solliciter financièrement -, redoute le député (UDF) de Vendée Jean-Luc Préel. "Toute mesure qui serait prise rapidement ne peut qu'entraîner des réactions négatives", assure même le président (UMP) de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Pierre Méhaignerie, pour qui "l'urgence est à débattre" pour faire œuvre de pédagogie, "comme on l'a fait sur les retraites" bien avant d'engager une réforme.

"Le problème du gouvernement, c'est qu'il a le projet de loi de finance de la Sécurité sociale -PLFSS-" pour 2004 à présenter à la rentrée et qu'"il faudra qu'il prenne à cette occasion quelques mesures", avance un ancien ministre de la majorité. "On ne peut pas continuer à laisser dériver de 3 à 4 milliards d'euros par an les dépenses d'assurance-maladie", déclare le député (UDF) de la Marne Charles de Courson. "Si rien n'est fait", préviennent le député (UMP) du Bas-Rhin, Yves Bur, et Alain Vasselle, sénateur (UMP) de l'Oise, le déficit 2004 "pourrait dépasser les 14 milliards d'euros" pour l'un et "friser les 20 milliards d'euros" pour l'autre.

Même s'il prend le temps de la concertation et reporte au lendemain des élections du printemps 2004 des mesures structurelles sur la "gouvernance" ou sur un nouveau partage des remboursements entre l'assurance-maladie obligatoire et les complémentaires, le gouvernement ne pourra pas, à l'automne, afficher dans le PLFSS une nouvelle aggravation du déficit. Opposé à l'augmentation des prélèvements obligatoires (un point de CSG rapporterait pourtant 9 milliards d'euros), il devrait s'en tenir à une stabilisation du déficit. Quitte à prévoir "quelques recettes de poche" (hausse des taxes sur le tabac ou sur l'alcool), selon l'expression de M. de Courson. Un scénario auquel ne croit pas le député (PS) de Paris Jean-Marie Le Guen, qui s'attend, lui, à "des prélèvements massifs sur les ménages".

Le problème du gouvernement est aussi de parvenir à maîtriser les dépenses. Il pourrait fixer un Objectif national de dépenses d'assurance-maladie (Ondam) plus restrictif que celui de 2003 (+ 5,3 %). Un ancien ministre évoque la poursuite des "déremboursements" de médicaments que M. Mattei a déjà entrepris. L'idée d'une franchise de 2 à 3 euros par feuille de soins est aussi avancée. Autant de pistes déjà évoquées par Philippe Séguin, ministre des affaires sociales du gouvernement Chirac de 1986 à 1988, mais promptement écartées devant le tollé qu'elles avaient suscité.

Claire Guélaud et Philippe Le Cœur

Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF)

"Il ne faut pas sous-estimer le désarroi des médecins"

Cet entretien a été relu et amendé par M. Chassang.

Comment jugez-vous les relations entre médecins et caisses d'assurance-maladie ?

La situation est grave. Le système conventionnel a donné satisfaction pendant plus de trente-trois ans. Il est, aujourd'hui, dénoncé par les médecins libéraux. Même limitées en nombre - rapportées aux quelque 110 000 praticiens exerçant en ville -, les décisions prises par plusieurs dizaines de spécialistes de se déconventionner constituent un phénomène nouveau, révélateur de la gravité de la crise. Depuis que les difficultés financières de la Sécurité sociale sont apparues, il y a maintenant une quinzaine d'années, le système conventionnel va de mal en pis. Les caisses ont trop souvent tendance à se comporter comme si elles étaient les employeurs des médecins, ce qu'elles ne sont pas.

Vous réclamez un espace de liberté tarifaire individuel pour les médecins. De quoi s'agit-il ?

Aujourd'hui, 70 % des médecins exercent dans le secteur I (conventionné) et 30 % dans le secteur II (dit à honoraires libres). La coexistence de ces deux secteurs a créé des inégalités à l'intérieur du corps médical entre ceux qui peuvent ou ont pu accéder au secteur II, et les praticiens de secteur I, contraints de fixer leurs honoraires en fonction des tarifs de l'assurance-maladie. C'est une situation injuste. Nous ne demandons pas la réouverture du secteur II, mais un espace de liberté tarifaire individuel qui représenterait, pour chaque médecin, une part minoritaire de ses actes. Cet espace de liberté tarifaire doit être lisible pour le patient, respectueux de sa liberté de choix, et pratiqué avec tact et mesure. Nous l'expérimentons le mercredi, et cela marche ! Mais soyons clairs : ce n'est pas notre revendication principale.

Quelle est-elle ?

Il faut rémunérer les actes médicaux à leur juste prix. La consultation d'un spécialiste de secteur I est fixée à 23 euros. Après douze années d'études, ce n'est pas beaucoup dans l'échelle des services. Or, mieux rémunérer tous les actes permettrait d'éviter que les médecins ne soient tentés de les multiplier pour assurer leurs revenus. Nous n'avons pas réussi à négocier ce point avec l'assurance-maladie.

Comment sortir de l'impasse ?

C'est au gouvernement de reprendre la main. Il peut le faire en adoptant un nouveau règlement conventionnel minimal (RCM) qui tienne compte de certaines demandes de revalorisation des spécialistes. Il ferait un geste d'apaisement qui permettrait le retour à la confiance. Le corps médical traverse une crise grave, qui n'est pas sans rappeler celle des enseignants. Le gouvernement aurait tort de sous-estimer ce désarroi. S'il décidait de ne rien faire, il courrait le risque d'ouvrir un nouveau front social et de se préparer une rentrée agitée.

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Propos recueillis par C. Gu

Pour les Français, la "Sécu" est un "privilège"

Pédagogie. Le mot est sur toutes les lèvres, à droite, dès que l'on évoque les projets de réforme de la Sécurité sociale. "Il y a un sacré travail à faire", résume Pierre Méhaignerie, président (UMP, Ille-et-Vilaine) de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Il s'agit, en somme, de prendre le temps d'expliquer aux Français l'ampleur du redressement à opérer et des efforts qui seront exigés d'eux.

Dans cette optique, les commissions des finances et des affaires sociales de l'Assemblée ont voulu cerner les connaissances, les attentes ainsi que les réactions à différentes solutions envisageables pour résorber le déficit. Elles ont confié à la société Opinion-Way le soin de procéder à une étude qualitative. Intitulée "Les Français et l'assurance-maladie", cette étude effectuée du 14 et le 25 avril a été présentée jeudi 10 juillet.

Première leçon : les Français "méconnaissent" les acteurs, les sources de financement, les principes de cotisation ou de remboursement. Ils ne connaissent pas non plus le montant exact du déficit, ni son ancienneté. Pourtant, ils sont au fait de "l'existence" et "des raisons" de ce trou de la Sécu. Ils "divergent" toutefois dans la perception des risques : "L'aggravation inéluctable du déficit" n'est pas un sentiment partagé.

Pointant "un attachement unanime à la Sécurité sociale, perçue comme une chance, un privilège", l'étude estime que les Français affichent une "volonté consensuelle : sauver la Sécurité sociale". L'attente est là : "Une action forte du gouvernement" est souhaitée. S'ils sont "prêts à faire des sacrifices", ils affichent "des divergences fortes sur les moyens à mettre en œuvre".

Exemple : ceux qui, selon les auteurs de ce rapport, développent un "mécanisme défensif" vis-à-vis de la protection sociale expriment, "la peur de voir limiter ou réduire les risques couverts". Ils craignent de "voir réapparaître des différences de prestations et de cotisations". En revanche, ceux qui se situent dans une "rhétorique progressiste", évoquent la baisse des remboursements, la mise en place de systèmes de bonus-malus et d'épargne-maladie ou le non-remboursement des accidents de sport. Ils rejettent les "petites solutions jugées inefficaces" (médecin référent, ticket modérateur, hausse de la CSG). Un consensus s'exprime toutefois sur ce que les uns et les autres attendent des politiques publiques : favoriser la prévention, éduquer et responsabiliser, alléger les coûts de gestion, contrôler davantage, utiliser d'autres financements (taxes sur l'alcool et le tabac, réaffectation d'autres budgets).

APPLIQUER LES SANCTIONS

Compte tenu de ces éléments, Opinion-Way préconise une "communication"en deux temps. Une première phase de sensibilisation permettrait de souligner la fragilité du système de protection sociale et la nécessité de le pérenniser. Une seconde phase, dite "d'intégration" rappellerait qu'il s'agit d'un "système de protection complet, qui le restera". Elle soulignerait en outre l'exigence de concilier "solidarité et liberté".

Afin de "faire passer les mesures majeures", les auteurs suggèrent de "satisfaire" certaines exigences exprimées par les Français. En adoptant des mesures, telles que les contrôles et les sanctions, qui ne semblent pas suffisamment appliquées à leurs yeux.

Ph. L. C.

Jean-François Mattei fait le bilan d'un an au ministère de la Santé. Entretien.

"Les dépenses vont encore augmenter"

Par Eric FAVEREAU

mercredi 30 juillet 2003

l a fait un départ en trombe, en faisant la paix, à peine arrivé en juin 2002 au ministère de la Santé, avec les généralistes, leur accordant la consultation à 20 euros. Un an plus tard, Jean-François Mattei termine l'année en demi-teinte. Avec, en point de mire, une rentrée qui s'annonce délicate autour du déficit record de l'assurance maladie. L'homme connaît par coeur le monde de la santé. "J'ai décidé de ne pas me présenter aux régionales, explique-t-il, car la seule chose que j'ai envie de réussir, c'est mon métier de ministre." Retour sur une année lourde d'orages.

Fatigué ?

Non, mais j'ai besoin de m'aérer les neurones, avec un oxygène qui ne soit pas seulement celui de l'assurance maladie.

La situation des hôpitaux vous inquiète-t-elle pour ce mois d'août ?

Elle est toujours tendue, comme chaque été depuis des années. La RTT n'a rien arrangé. Mais nous avons pris des mesures d'anticipation afin de pouvoir prendre en charge au mieux les malades. Et cela n'a été possible que grâce à la concertation et aux efforts des personnels.

Sur deux grands dossiers, l'hôpital et l'assurance maladie, il n'y aura donc pas de grande réforme. Est-ce à dire qu'en France la santé n'est pas réformable?

Ce sont deux sujets différents. Pour l'hôpital, je l'ai trouvé à mon arrivée vraiment malade. Et en médecine, quand la fièvre est trop élevée, il ne faut pas initier de traitements de choc. Demander à l'hôpital des efforts supplémentaires quand il doit faire face à la pénurie de personnel, médical et soignant, quand il doit faire face aussi à la réduction du temps de travail, tout cela me paraissait déraisonnable. Il fallait procéder par étapes. Depuis, on a beaucoup avancé : on a lancé le plan Hôpital 2007 avec un investissement de 6 milliards en cinq ans : il est en cours. La simplification des appels d'offre, elle est en cours. Le nouveau financement de l'hôpital avec la tarification à l'activité ? Cela marche très bien. Nous avons enfin conclu, grâce à la négociation, des accords sur l'assouplissement du temps de travail. Et je viens de lancer le dernier volet sur une nouvelle gestion pour l'hôpital.

Pour autant, pas de loi hospitalière?

Je n'aime pas les coups d'éclat. J'ai encore en mémoire la loi de 1991 et la loi de 1996. Il y a des mesures de la loi de 1991 qui ne sont pas encore appliquées. Je vais plutôt me servir des lois votées. Sur l'hôpital, tout se fait pas à pas. Il n'y aura pas de grand soir ni de grand matin. Mais nous aurons un hôpital mieux géré, dans l'intérêt des malades comme du personnel.

Second volet : il n'y aura pas non plus de grande réforme de l'assurance maladie, comme vient de le déclarer le président de la République.

Le cas est différent. L'expérience internationale que j'ai désormais me fait penser que, quels que soient les systèmes, les difficultés sont identiques. La Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l'Allemagne, la Hollande, le Danemark, tous voient leurs dépenses de santé flamber. Faut-il aller copier un système qui a les mêmes difficultés que nous, alors que nous avons des atouts que n'ont pas les autres, comme une meilleure égalité d'accès aux soins ? Nous allons donc garder la même base. Avec une première priorité : lutter contre les abus, les gaspillages et les excès. Je m'y suis attelé, ce n'est pas terminé, mais j'ai bon espoir d'y arriver d'ici la fin de l'année. Après, il s'agira de faire de la pédagogie. Est-ce que l'augmentation des dépenses de santé que nous constatons dans tous les pays industrialisés peut être arrêtée ou non ? Faut-il l'accompagner ou non ? Ma conviction est que les dépenses de santé vont croître inexorablement pour des raisons que l'on connaît : vieillissement de la population, progrès médical, recherche de meilleure qualité de vie. Nous ne pourrons pas arrêter cette progression, mais il faut infléchir les dépenses. Ensuite, une grande concertation avec les partenaires va être engagée dès cet automne. Je voudrais qu'ensemble nous définissions la nouvelle architecture du système en confortant les grands principes : justice, solidarité, et j'ajouterais : responsabilité.

Certes, mais tôt ou tard, - et apparemment en 2004 -, vous serez le ministre qui va augmenter la CSG...

Ce n'est pas d'actualité, comme l'ont dit le président de la République et le Premier ministre. De façon plus générale, quand vous regardez le budget des ménages aujourd'hui et que vous constatez que 16 % des dépenses sont consacrées aux loisirs et 13 % à la santé, vous ne pouvez ignorer que l'évolution naturelle des choses va conduire les Français à consacrer davantage d'argent aux dépenses de santé.

Auparavant, vous donniez pourtant le sentiment que l'on arriverait à maîtriser les dépenses.

Je me demandais si le seul fait de supprimer les gaspillages et les abus permettrait de faire des économies suffisantes pour annuler l'augmentation des dépenses et ainsi stabiliser les choses. Je me suis rendu compte que non. Pour parler du médicament, quand vous arrivez à faire des économies de plusieurs centaines de millions, vous vous apercevez que, dans le même temps, les nouvelles dépenses dues à de nouveaux produits se révèlent encore plus fortes.

La santé a-t-elle toute sa place dans les priorités du gouvernement?

Le Premier ministre est très conscient des questions de santé. Nous nous rencontrons régulièrement, la santé est prioritaire pour ce gouvernement. Mes réformes sont en cours. La loi de santé publique sera débattue à l'automne. Le plan cancer avance. Il a fixé des objectifs. Je tiens mes promesses : le 31 décembre, les 100 départements français auront le dépistage systématique du cancer du sein. De même sur la sécurité routière. Et pour les handicapés, la loi viendra à l'automne.

Vis-à-vis de la médecine de ville, il y a eu l'accord autour des 20 euros. Un an après, la situation reste très tendue avec les spécialistes.

J'ai des difficultés avec les spécialistes. D'abord, il y a la structure très hétérogène du corps des médecins spécialistes. Un tiers d'entre eux est au secteur 2 : ils sont dans un système où ils ajustent leurs recettes en fonction de leurs dépenses. Les deux autres tiers supportent de plus en plus mal l'existence du secteur 2. Et ils ont des motifs tout à fait compréhensibles d'insatisfaction. Deuxième hétérogénéité : au sein des spécialistes, des médecins gagnent leur vie d'abord sur des actes techniques, et d'autres sur des actes cliniques. Les actes techniques sont beaucoup mieux rémunérés. Les spécialistes qui pratiquent essentiellement des actes cliniques comme les pédiatres, les psychiatres, etc., sont en vraie difficulté. Devant cette hétérogénéité, la volonté des syndicats de médecins de garder l'unicité des spécialistes de l'ensemble me paraît difficile.

Quid de la liberté tarifaire qu'ils réclament?

J'y arrive. La situation économique de la Sécurité sociale est délicate, avec un déficit considérable. Enfin, il y a une crise de la démographie médicale qui déstabilise la coexistence du secteur 2 et du secteur 1, avec le risque que les patients n'aient plus le choix d'aller voir un médecin du secteur 1. La pénurie médicale n'est pas compatible avec la liberté tarifaire d'un côté et de l'autre la liberté d'accès aux soins.

Cela fait un an que vous êtes à ce poste. Avez-vous été surpris par ce métier de ministre?

Ma logique cartésienne est quelquefois prise en défaut. Un dernier exemple, lorsque j'ai appris que le groupe socialiste déposait un recours devant le Conseil constitutionnel pour annuler une mesure qui n'a qu'un seul but : valider le dispositif mis en place par Elisabeth Guigou sur la baisse du taux de remboursement des médicaments. Je sais bien que notre amendement a été déposé rapidement, mais c'est la règle. Sur des sujets comme celui-ci, les clivages politiques me choquent. J'ajoute que cela est intervenu au moment même où la droite et la gauche faisaient en Allemagne l'union sacrée sur une réforme de santé qui va très loin.

Des regrets?

Des agacements, certainement. Sur les médicaments, quand on laisse croire que je suis sensible aux lobbyings pharmaceutiques... J'avais toujours dit que je dérembourserais en trois ans. Pour la première année, j'ai déremboursé les médicaments qui n'avaient plus leur place dans la pharmacopée. Nous avons tenu la politique annoncée.

Ne craignez-vous pas trop la rentrée?

Pour la médecine, chaque jour est une rentrée... La rentrée va être délicate, comment le nier ? Je vais avoir un projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui sera sûrement difficile. Comment voulez-vous que les choses ne soient pas difficiles avec un déficit de l'assurance maladie qui tend vers 10 milliards d'euros pour 2003?